Citations sur Sniper : Vie d'un soldat en Tchétchénie (13)
J'ai levé les yeux: le bois plongé dans le noir palpitait; les arbres ressemblaient à des êtres humains, les branches agitées par le vent exécutaient un étrange ballet, une danse continue et hypnotique... C'était sans aucun doute un lieu enchanteur. Dommage qu'on ait dû le regarder à travers le prisme de la guerre, qui parvenait à rendre laides les choses les plus extraordinaires de ce monde.
Elle m'écoutait sans me regarder en face, ce qui m'inquiétait. Puis elle m'a tendu une feuille de papier où il était écrit qu'à compter de cet instant j'étais la propriété du gouvernement russe et que ma vie était protégée par la loi.
J'avais du mal à comprendre ce que ça voulait dire concrètement.
"Ça signifie que si tu essaies de te sauver, de te blesser ou de te suicider, tu seras condamné pour atteinte à la propriété du gouvernement", m'a t'elle répondu sur un ton glacial.
Notre capitaine était immobile, cramponné à la tourelle du char d'assaut. Brusquement, il a dit à voix basse, comme se parlant à lui-même:
"Ou sur terre avec nous, ou sous terre contre nous..."
j'ai entendu un de mes camarades, qui fumait à l'extérieur de la voiture, dire à son pote qu'il aurait mieux valu que quelqu'un me tire dessus pendant la guerre, car rendre à la société un individus dans mon genre, c'était un véritable crime.
Le plus difficile c'est d'attendre. Quand vous attendez quelque chose qui ne dépend pas de vous, chaque instant qui passe est une torture.
Pour s'endurcir, on se forçait à manger avec ces cadavres sous les yeux. De temps en temps, pendant le trajet, quand le camion prenait un tournant, ils nous tombaient dessus. Au début ça me dérangeait, puis je m'y suis fait ; je les prenais et je les relançais dans le tas.
Dès qu'on était prêts à partir, on s'asseyait en cercle tous ensemble et on restait en silence pendant quelques minutes. C'est une vieille coutume russe, qui s'appelle "s'asseoir dans la rue": on dit qu'avant de partir en voyage ou d'entreprendre quelque chose, observer ce simple rituel vous porte chance.
Quand j'ai eu fêté mes dix-huit ans, j'avais déjà une lourde histoire derrière moi. Mais le monde aussi avait une histoire, bien plus complexe que la mienne. Mon pays devenait une sorte de royaume de l'absurde. Le capitalisme auquel tous inspiraient n'arrivait jamais. La mentalité dominante était celle des voleurs, des gens qui couraient après l'argent facile, en jouant au plus malin avec Dieu. Comme disait grand-père, "tout le monde essayait d'arracher la barbe de Dieu pour voir si elle lui allait bien."
Durant la guerre, je n'ai pas cessé un seul instant d'avoir peur ; je crois que c'est justement à cause de ça que je suis resté en vie et que je ne suis pas devenu fou.
Je suis resté assis devant la télé casée toute la nuit, en pensant à nous qui, dociles comme des agneaux qu'on mène à l'abattoir, avions sacrifié nos vies au nom d'un idéal dont le reste du pays se fichait complètement.