Banlieue de Stockholm, début des années 80. Une cité grise figée dans le froid d'un hiver précoce ; des familles qui se décomposent (ou tentent maladroitement de se recomposer) sur fond d'aides sociales, de petits boulots et d'alcool pour tuer le temps ; les règlements de compte entre collégiens, le harcèlement, la colle que les plus grands inhalent dans les caves d'immeubles... Dès les premières pages du roman, nous sommes prêts, tout comme Oskar, élève de 5e, à laisser la rêverie, les songes et les visions venir secouer ce quotidien poisseux, cet ennui que seule la cruauté tempère, et à accueillir Eli, l'enfant de la nuit qui va bouleverser la vie du jeune garçon. « Listen to them, the children of the night... »
Sans rien dévoiler de l'histoire plus que la présentation de l'éditeur ne le fait déjà, on reprendra les mots du Daily Express rapportés en 4e de couverture : « Un niveau de violence rare désamorcé par une tendresse inouïe ». En effet,
John Ajvide Lindqvist investit le genre fantastique (et plus particulièrement le récit de vampires) afin d'en explorer les potentialités les plus sombres, celles qui secouent, troublent, voire malmènent le lecteur, le font s'interroger sur les possibilités et les limites de la fiction.
Laisse-moi entrer est un récit d'apprentissage à un âge, celui d'Oskar, 12 ans, où les perceptions du monde évoluent très vite. Et c'est ce qui fait toute la beauté de ce récit qui, pour reprendre l'expression de
Michel Viegnes dans l'anthologie
le Fantastique (GF), pourrait se lire comme une « révolte contre le désenchantement du monde ». Ainsi, dès la rencontre des premières pages entre Oskar et Eli, une question nous taraude : le jeune garçon va-t-il trouver grâce à cette rencontre une ouverture, une ligne de fuite qui lui permette de s'extraire de sa réalité fermée, de ce quotidien d'une infinie tristesse ? Il faudra tout le temps de la lecture pour que chacun trouve une réponse, lecture où les ralentis de la narration appellent à la contemplation, moments de flottements où nos perceptions se brouillent et les durées se distendent.
(Je recommande l'adaptation de 2008 au cinéma, Morse - Let the right one in, par Tomas Alfredson.)