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Critique de Mimimelie


Le monde il est beau, le monde il est gentil.

Dans la société suresthétisée, le consommateur-citoyen-être sensible, alias « Homo Aesthéticus », fait sa toilette du matin avec des accessoires dessinés par les meilleurs designers. Puis il mange des céréales dont les propriétaires ont ouvert des fondations d'art. Il démarre ensuite sa berline Picasso et écoute des livres audio dans les embouteillages, sur le chemin d'un travail où sa créativité est heureusement appréciée. Si cette vie décorative n'est pas exempte de stress, si l'absence d'horizon collectif produit du mal-être, et s'il n'est pas toujours facile d'allier le calcul rationnel et la nouvelle sensibilité généralisée, l'Homo aestheticus peut compter sur les « empires esthético-marchands », grandes marques et puissances éclairées, pour animer, ré enchanter la vie ordinaire – et relever demain de défi de « la qualité », nouvelle étape dans une évolution qi a aussi ses revers : l'inégalité, le superflu, le gâchis, la pollution. Cette vision bon enfant de ce qu'ils appellent notre « âge hypermoderne » est détaillée par Gilles Lipovetsky –sociologue amène, plus descriptif que critique, lancé dès 1983 par un essai best-seller chez Gallimard, l'Ere du vide – et le critique Jean Serroy, dans leur dernier opus, l'Esthétisation du monde : dans nos villes « franchisées », où chaque boutique se pense comme une galerie et chacun de nos gestes comme une partique culturelle, le nouvel « empire transesthétique » oeuvre à réconcilier, non sans tension, « la création et le loisir, l'art et la communication, l'avant-garde et la mode ». Vive le « capitalisme artiste, notre ultime chance de changer le monde ? cette synthèse sympathique n'en pose pas moins trois problèmes. Elle enfonce, d'abord, pas mal de portes ouvertes : on trouvait plus de profondeur théorique et d'audace politique dans les pages de Theodor Adorno, analysant la « vie mutilée » dans l'ère moderne aliénée (Minima Moralia, publiée en Allemagne en 1951), dans celles de Guy Debord, dénonçant nos vies « éloignées » devenues (une immense accumulation de spectacles » (laSociété du spectacle, éd. Buchet-Chastel 1967), ou celles de Fredric Jameson envisageant la pop culture omniprésente de notre époque « post-moderne » comme la logique même du capitalisme avancé (le Postmodernisme, publié aux Etats-Unis en 1992). Ensuite, ces trois-là avaient l'avantage, sur nos deux compères, d'aborder le rapport entre l'art et la société comme un rapport de force, un dispositif de domination, un effet du rapport de classes et de la logique de profit. Lesquels, ici, sont à ce point absents qu'on en viendrait à prêter effectivement à la « World Corporation » les plus vertueuses intentions du monde. Enfin, la subjectivité de l'individu « hypermoderne » est ici pour le moins atrophiée : elle cherche dans ce joli décor de quoi oublier ses malheurs, ne résiste ni ne s'insurge à aucun moment, et semble ne plus savoir ce qu'est la différence (des sexes, des origines, des classes, des conditions) ni la folie. Or, un sujet bougon, capable de répondre à cet état de choses par un beau bras d'honneur, prêterait plus à l'optimisme que les conclusions de nos deux observateurs. A un optimisme, en tout cas, nette plus combatif.

François Cusset Beaux-arts 348 juin 2013
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