Comment définir le kitsch ? Qui décide de ce qui est de mauvais goût ? Pour en parler, le Book Club de Nicolas Herbeaux invite le philosophe Gilles Lipovetsky et l'auteur Nicolas d'Estienne d'Orves.
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...,c'est à un détachement émotionnel qu'aspireraient de plus en plus les individus,en raison des risques d'instabilité que connaissent de nos jours les relations personnelles.Avoir des relations interindividuelles sans attachement profond,ne pas se sentir vulnérable,développer son indépendance affective,vivre seul,tel serait le profil de Narcisse.
Société de séduction ? Cette proposition ne manquera pas de soulever des objections. L’idée en effet est fréquemment développée selon laquelle l’économie de marché, l’hyperconsommation, les médias et même l’art fabriquent un monde sans âme, sans grâce ni poésie. Toute notre époque serait marquée par la régression de la part de la culture, du rêve et de l’enchantement : nous avons créé un monde matériel standardisé, sans charme, au pouvoir attracteur minimal. Dans un monde qui voue un culte au marché, à l’argent, à l’efficacité, nous ne connaissons plus que l’immédiateté du désir, le jetable, la précipitation en toutes choses. Porno, images violentes hyperboliques, décibels, rap, trash-tv, speed watching, grunge, art brutaliste : le capitalisme a fait éclore une culture « néo-barbare » nous entraînant sur la pente de la dé-civilisation détruisant la grâce des belles formes, le savoir-vivre et le savoir-contempler dans la lenteur. Que reste-t-il du charme du suggéré et du mystère à l’heure des tweets, du speed dating, des sites de rencontre en ligne, du règne pornographique du « tout montrer » ? Que signifie faire la cour dans un temps où les rôles de sexe sont remis en cause et où les individus ne supportent plus d’attendre et d’être frustrés ? Finis les grands mythes de la séduction : en lieu et place de Don Giovanni, nous avons le rap ; La Vie sexuelle de Catherine M. et Les Particules élémentaires ont succédé à Don Juan et aux Liaisons dangereuses. À l’univers esthétique créant des formes délicates et élégantes font suite des œuvres d’art qui mettent en scène le côté abject ou répugnant des réalités. Les structures élémentaires de la séduction, la lenteur, la patience, la belle rhétorique, l’ambiguïté ont perdu leur magie antérieure. C’est toute l’époque qui signe l’arrêt de mort des délices de la séduction.
Communiquer pour communiquer, s'exprimer sans autre but que de s'exprimer et d'être enregistré par un micropublic, le narcissisme révèle ici comme ailleurs sa connivence avec la désubstantialisation post-moderne, avec la logique du vide.
c'est partout la recherche de l'identité propre et non plus de l'universalité qui motive les actions sociales et individuelles.
''Il ne me parle plus d'amour'' : mot de femmes, désespoir de femmes. La survalorisation féminine de l'amour a pour corrélat la ''longue plainte des femmes en mal d'amour'', les défilés de récriminations à l'endroit des hommes accusés d'être égoïstes, de manquer de romantisme, de ne pas extérioriser leurs sentiments, de négliger la vie affective au profit du travail professionnel. (…) Parce que les hommes ne sont pas socialisés au romanesque, ils s'accommodent plus facilement des relations plus ''routinières'', d'une moindre théâtralisation des sentiments. Les femmes vivent plus difficilement le manque de mots d'amour, le déficit de sentimentalité ; elles rêvent plus que les hommes de connaître le grand amour et reprochent aux hommes, fréquemment, de se protéger, de fuir, de ne pas se donner pleinement. La culture égalitaire n'a pas réussi à rendre similaires les exigences amoureuses des deux sexes.
- L’hédonisme, la consommation promet des bonheurs, de l’évasion, c’est une société qui stimule une marche au bonheur dans ses référentiels, mais la réalité c’est que l’on voit la multiplicité des anxiètés, la morosité, l’inquiétude, le ras le bol, l’insatisfaction quotidienne. Donc voilà, l’idée de bonheur paradoxal est : que plus la société marche au bonheur plus montent les plaintes, les récriminations, les insatisfactions.
Rien n’est plus étrange en ce temps planétaire que ce qu’on désigne par « retour du sacré » : succès des sagesses et religions orientales (zen, taoïsme, bouddhisme), des ésotérismes et traditions européennes (kabbale, pythagoricisme, théosophie, alchimie), étude intensive du Talmud et de la Torah dans les Yéchivot, multiplication des sectes ; incontestablement, il s’agit là d’un phénomène très post-moderne en rupture déclarée avec les Lumières, avec le culte de la raison et du progrès. Crise du modernisme pris de doute sur lui-même, Incapable de résoudre les problèmes fondamentaux de l’existence, incapable de respecter la diversité des cultures et d’apporter la paix et le bien-être de tous ? Résurrection du refoulé occidental au moment où celui-ci n’a plus aucun sens à offrir ? Résistance des individus et groupes devant l’uniformisation planétaire ? Alternative à la terreur de la mobilité en revalorisant les croyances du passé ? Reconnaissons que nous ne sommes pas convaincus par ce type d’analyses.
Il convient avant tout de remettre à sa juste place l’engouement actuel dont jouissent les multiples formes de sacralité. Le procès de personnalisation a pour effet une désertion sans précédent de la sphère sacrée, l’individualisme contemporain ne cesse de saper les fondements du divin : en France, en 1967, 81 % des jeunes de quinze à trente ans déclaraient croire en Dieu ; en 1977 ils n’étaient plus que 62 %, en 1979, 45,5 % seulement des étudiants déclaraient croire en Dieu. Qui plus est, la religion elle-même est emportée par le procès de personnalisation : on est croyant, mais à la carte, on garde tel dogme, on élimine tel autre, on mêle les Évangiles avec le Coran, le zen ou le bouddhisme, la spiritualité s’est mise à l’âge kaléidoscopique du supermarché et du libre-service. Le « turn over », la déstabilisation a investi le sacré au même titre que le travail ou la mode : quelque temps chrétien, quelques mois bouddhiste, quelques années disciple de Krishna ou de Maharaj Ji.
Le renouveau spirituel ne vient pas d’une absence tragique de sens, n’est pas une résistance à la domination technocratique, il est porté par l’individualisme post-moderne en en reproduisant la logique flottante. L’attraction du religieux est inséparable de la désubstantialisation narcissique, de l’individu flexible en quête de lui-même, sans balisage ni certitude – fût-ce dans la puissance de la science –, elle n’est pas d’un autre ordre que les engouements éphémères mais néanmoins puissants pour telle ou telle technique relationnelle, diététique ou sportive. Besoin de se retrouver soi-même ou de s’annihiler en tant que sujet, exaltation des rapports interpersonnels ou de la méditation personnelle, extrême tolérance et fragilité pouvant consentir aux impératifs les plus drastiques, le néo-mysticisme participe de la gadgétisation personnalisée du sens et de la vérité, du narcissisme psy, quelle que soit la référence à l’Absolu qui le sous-tend. Loin d’être antinomique avec la logique majeure de notre temps, la résurgence des spiritualités et ésotérismes de tout genre ne fait que l’accomplir en augmentant l’éventail des choix et possibles de la vie privée, en permettant un cocktail individualiste du sens conforme au procès de personnalisation. (pp. 169-171)
Finalement nous avons moins peur de déclencher les sentiments de convoitise et de jalousie que de laisser imaginer que nous ne sommes pas heureux.
La consommation elle-même s'impose, pour de larges fractions de la population, comme source de soucis quotidiens et de pratiques ressemblant à un « travail » fait de recherches et de comparaisons patientes et sérieuses.
La « valeur esprit » dont parlait Valery s'effondre tandis que monte la valeur du business, de l'argent, du sport, du divertissement, des loisirs.