— Vincenzo ?
— Oui.
— Ah, tu es là ! Je ne t’entendais plus.
— Je suis là.Silence.
— Je tiens à toi, Vincenzo, alors essaie de ne pas te
faire tirer dessus, de ne pas signer de chèques et de ne pas
tomber amoureux d’une autre avant ce soir. On réglera ça
plus tard, d’accord?
— Oui.
Et il raccroche.
Les faits divers durent moins longtemps que le poisson
qu’ils emballent.
— Tu as pris une bonne douche, au moins ?
— Non.
— Ça te ferait passer la fatigue.
— Et qu’est-ce qui me resterait?
Ils se taisent.
Il lui a fallu quarante ans pour apprendre à bien faire les deux choses pour lesquelles il avait un peu de talent : son métier de commissaire et son rôle de mari. Et à présent, il ne semble plus y arriver si bien que ça.
Pour tout le reste : communiquer, s’ouvrir, compatir, bien manger, aimer d’autres femmes, comprendre l’art, se rappeler des films, se faire redresser les dents, trouver les mots justes, se mettre de la crème, apprécier le sauna, le dimanche, la nature et se laver les pieds tous les soirs avant d’aller se coucher, il est désormais trop tard.
Voilà, c’est ça, vieillir : ne plus avoir de temps pour devenir bon à quoi que ce soit.
C’est des trucs comme celui-là : partisans, fascistes, règlements de comptes pendant ou après la guerre. Il y a sûrement un vieux dans le coin qui sait même qui ils sont et qui les a tués, mais s’il n’a pas parlé jusqu’ici…
Arcadipane regarde les os longs des bras et des jambes disposés par les ouvriers avec le bassin, la colonne vertébrale et le crâne suivant la forme d’un corps. À côté, un tas de petits os qu’ils n’ont pas su placer.
— Ceux-là, c’est comme Andorre ou le Liechtenstein, commente Sarace. À moins de bosser dans la banque, tu ne sais pas où ça se trouve.