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Critique de HundredDreams


J'ai toujours ressenti une attirance pour l'océan. Son immensité bleutée, sa beauté mystérieuse et changeante, son odeur fraîche et iodée, le bruit des vagues m'incitent à m'apaiser, lâcher-prise, rêver.

Il y a quelques temps maintenant, j'ai créé une liste de livres sur le thème de l'océan intitulée « A l'inverse des hommes, l'océan se retire pour que la mer garde ses poissons » dans laquelle j'ai ajouté de nombreuses suggestions de lecteurs. Je reviens régulièrement y piocher un livre. Après le révoltant « les mensonges du Sewol », le poétique « Ultramarins », et le troublant et funeste « Mers mortes », mon choix s'est porté vers la littérature classique et « Pêcheurs d'Islande » de Pierre Loti. J'ai lu beaucoup de grands classiques de la littérature du XIXème siècle plus jeune, mais je n'avais encore jamais rien lu de cet auteur.

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« Pêcheurs d'Islande » a des parfums d'enfance, j'ai aimé retrouver cette Bretagne qui m'est chère et mes souvenirs des côtes bretonnes se sont mélangés aux descriptions de l'auteur, la lande, les plages balayées par le vent, les chemins rocailleux, les tempêtes terrifiantes au large, le ciel sombre et menaçant.
J'ai aimé ce texte très coloré, sensoriel qui rend l'océan si vivant, si attirant, si majestueux mais si tragique.

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L'intrigue est belle dans sa simplicité, généreuse dans ses sentiments, poignante dans les émotions que j'ai ressenties. Elle nous parle d'amour et d'amitié, du temps qui passe et du temps qui reste, de la solitude, de l'angoisse de ne plus revoir celui qui est parti au loin, risquer sa vie. Vivre dans l'absence et l'incertitude du retour des pêcheurs devait être une terrible épreuve.

« Les nuages inférieurs étaient disposés en une bande d'ombre intense, faisant tout le tour des eaux, emplissant les lointains d'indécision et d'obscurité. Ils donnaient l'illusion d'un espace fermé, d'une limite ; ils étaient comme des rideaux tirés sur l'infini, comme des voiles tendus pour cacher de trop gigantesques mystères qui eussent troublé l'imagination des hommes. »

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L'histoire se déroule au XIXème siècle dans la région de Paimpol, en Bretagne du Nord.
Pierre Loti décrit les campagnes de pêche à la morue dans les mers hyperborées d'Islande, les conditions de travail extrêmement rudes sur les goélettes. Il n'oublie pas de décrire la vie quotidienne des femmes restées à la maison.

La vie était organisée autour du calendrier de la pêche à la morue.
De février à août, les pêcheurs bretons que l'on surnommait les Islandais, quittaient leur famille pour de grandes campagnes de pêche. Il fallait beaucoup de courage et de robustesse à ces hommes pour partir, affronter la mer mauvaise et les eaux glaciales. le travail y était épuisant, la pêche dangereuse, mais la paye était bonne.
Pendant ces longs mois d'absence, leurs familles attendaient, contemplaient la mer, espérant et priant pour leur retour. Il arrivait souvent que l'océan, capricieux, se fasse rétribuer pour ses largesses en emportant chaque année dans ses abysses, quelques bateaux et leurs marins.

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Les personnages principaux de cette histoire sont plutôt bien développés pour un petit roman. On s'attache très vite à eux et c'est avec regret que j'ai refermé le livre.

Pierre Loti donne vie à de beaux personnages masculins.
La majeure partie de l'histoire est centrée sur le jeune Sylvestre parti faire son service militaire en Indochine et surtout, son cousin, Yann Gaos, un marin honnête et fier, un colosse au coeur tendre, qui, à l'approche de la vingtaine, est poussé au mariage. Cependant, Yann maintient que la seule femme de sa vie sera la mer, à jamais.

Mais, même si c'est un magnifique roman de marins, de très beaux rôles ont été attribués aux femmes d'Islandais. Leur vie, souvent marquée par le dénuement le plus complet et l'isolement, n'est pas facile non plus à cette époque.

« … la chaumière lui sembla plus désolée, la misère plus dure, le monde plus vide, — et elle baissa la tête avec une envie de mourir. »

Gaud Mével et la vieille Yvonne m'ont forcément touchée.
Malmenées par la vie, leur quotidien a un profond goût d'amertume, d'espoir, d'attente, d'abandon, de souffrance et de silence.

« le temps était resté beau sur ce jour des séparations ; au large seulement une grosse houle lourde arrivait de l'ouest, annonçant du vent, et de loin on voyait la mer, qui attendait tout ce monde, briser dehors. »

Leurs printemps ne sont que peine, anticipant le départ des hommes. La douceur des mois d'été ne peut cacher la solitude, l'inquiétude et la peur chevillée au corps. Et lorsque les premiers bateaux reviennent au port au tout début de l'automne, l'attente devient insupportable. Et le dernier bateau arrivé, il ne reste plus que le vide de ceux qui sont restés dans les entrailles de l'océan.

« Et comme elle se sentait loin de chez elle !... Mon Dieu, tout ce trajet qu'il faudrait faire, et faire décemment, avant d'atteindre le gîte de chaume où elle avait hâte de s'enfermer — comme les bêtes blessées qui se cachent au terrier pour mourir. C'est pour cela aussi qu'elle s'efforçait de ne pas trop penser, de ne pas encore bien comprendre, épouvantée surtout d'une route si longue. »

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Très visuelles, les descriptions de la côte bretonne, de l'océan sont de toute beauté. On ressent l'air du large, la lumière qui s'étire à l'infini, les mouvements de la houle. L'écriture est douce, envoûtante.
L'émotion vous saisit, grisé par la beauté du texte, la justesse des mots, la magie de cette peinture qui prend vie devant vous.

« le soleil, déjà très bas, s'abaissait encore ; donc c'était le soir décidément. A mesure qu'il descendait dans les zones couleur de plomb qui avoisinaient la mer, il devenait jaune, et son cercle se dessinait plus net, plus réel. On pouvait le fixer avec les yeux, comme on fait pour la lune.
Il éclairait pourtant ; mais on eût dit qu'il n'était pas du tout loin dans l'espace ; il semblait qu'en allant, avec un navire, seulement jusqu'au bout de l'horizon, on eût rencontré là ce gros ballon triste, flottant dans l'air à quelques mètres au-dessus des eaux. »

La prose de l'auteur est sobre et cette image d'une vie simple, laborieuse et honnête est d'autant plus bouleversante.

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Pour conclure, j'ai aimé cette histoire tragique entre terre et mer, les belles descriptions de l'océan. L'intrigue, rythmée entre les départs et les retours des pêcheurs, laisse la place à de beaux portraits. Les personnages m'ont plu pour leur générosité, leur force, leur sensibilité et leur réserve naturelle.
J'aurais peut-être aimé davantage éprouver la rudesse de la vie des pêcheurs bretons, mais ce n'est qu'un minuscule détail.
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