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Critique de Laureneb


La littérature semble nous apprendre qu'il ne faut jamais visiter les pays dont on a rêvé, qu'il ne faut pas voyager dans ces lieux qui peuplent notre imaginaire, parfois depuis l'enfance.
Le Narrateur de la Recherche du Temps perdu rêve de Venise, fantasme Venise, et, quand il s'y rend enfin, ne voit que les façades défraichies, trouve les femmes laides, ne sent que les odeurs de pourriture qui s'exhalent des canaux.
Pierre Loti ressent la même déception, avant Proust même, sauf qu'il ne s'git pas d'une fiction, mais d'un récit de voyage sous forme de journal. Il connaît la Perse de façon artistique, livresque : par ses études classiques en ayant traduit des passages en grec sur la Perse de Darius au temps d'Alexandre le Grand, par les récits de voyage des explorateurs, par des gravures. Avant de partir, ses rêves sont déterminés par un imaginaire orientaliste - jardins de rose, caravanes de chameaux, minarets dorés et bleutés... Et, peut-être surtout, femmes sensuelles, érotisées, aux yeux de biche et au teint de porcelaine comme dans une miniature persane.
La réalité s'avère toute autre... "Écroulements, décombres, et pourriture" déclare Loti au milieu de son texte, une formule qui pourrait résumer toutes ses étapes : à chaque journée de voyage, il note la puanteur des cadavres de mules ou de chevaux laissés en putréfaction, les ordures dans les rues ou dans les caravansérails. Il insiste sur les morceaux de mosaïque, de maçonnerie, de dorures même, qui s'effondrent faute d'entretien, même sur les plus beaux palais ou les plus belles mosquées. Quand aux "écroulements", le terme pourrait s'appliquer aux palais de Darius, les empereurs perses : ce sont certes des ruines archéologiques, mais sans aucune mise en valeur, sans patrimonialisation dirait-on aujourd'hui, qui permettrait aux visiteurs de reconstituer la grande Perse de ses études classiques. Non, les nomades y campent, les chèvres y paissent... Et c'est un sentiment de mélancolie qui étreint le voyageur. Enfin, les femmes qu'il fantasmaient se révèlent être des "fantômes" drapées dans leur voile qui dissimulent leurs traits, leurs corps et leur personnalité.
Cependant la lecture s'est révélée un peu fastidieuse, surtout au début : les premiers jours sont très répétitifs : le départ de la caravane, un paysage monotone de nuit, une arrivée au petit matin dans un caravansérail sale, le bruit des troupeaux... Loti voyage pour des paysages et des monuments, pas pour des rencontres, et il rentre donc peu en contact avec les habitants.
C'est donc le récit mélancolique d'un monde en train de disparaître, Loti regrettant d'ailleurs les traces de modernisation et d'occidentalisation de ce monde : les chemins de fer, l'influence coloniale britannique, les modes de vie... Il voudrait prendre ses repas assis sur un tapis, en fumant un narghilé, pas un repas pris à l'européenne avec des serveurs en gants blancs.
Oui, la réalité est décevante par rapport aux rêves...
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