Citations sur Ce qui ne peut se dire : L'atelier d'écriture à l'épreuve d.. (15)
-Rendre la parole- ce que je faisais et fais toujours dans les ateliers d'écriture: si chaque être humain découvre que, muni d'un simple crayon, il peut penser, c'est à dire développer des idées et les soumettre lui-même à la contradiction, le monde se portera mieux, c'est une de mes rares certitudes. Depuis longtemps j'ai fait mienne cette réflexion de Georges Picard: "Pour être au clair avec soi-même, pour savoir de quoi sa propre pensée est réellement capable, l'épreuve de l'écriture (est) cruciale. Peut-être publie-t-on trop, mais il n'est pas sûr que l'on écrive suffisamment" (p.18)
L’EFFET ICEBERG
On raconte qu’Hemingway, dans une première version du Vieil homme et la mer, avait décrit minutieusement le port et la vie des pêcheurs ; puis il a récrit en en retranchant toutes les descriptions naturalistes, ces effets de réels destinés à faire croire au lecteur que tout cela a bien eu lieu « en vrai » ; et n’a laissé subsister que l’histoire du vieil homme, de son espadon, et de la mer. Comme l’iceberg, disait-il, le récit ne doit laisser paraître que l’extrémité supérieure de l’histoire, les sept huitièmes restent sous l’eau.
Le souffle créateur n'appartient pas à l'artiste; il n'est pas un outil dont il disposerait à sa guise. Plus encore il semble que pour créer il faille s'arracher à la condition humaine, à son être-là, par la drogue, l'alcool, la transe, la prière, l'ascétisme, l'écriture automatique; ou encore à la faveur de la chance, parce qu'on a la baraka; ou grâce à ses dons, fruits d'une obscure loterie génétique...Ni les structuralistes, ni le Nouveau Roman, ni les Oulipiens, malgré leur volonté affichée d'en finir, n'ont pas réussi à faire la peau à l'inspiration. (p.35)
JE SUIS NE EXILE
Pour ces millions d'êtres -en périphérie-, au-delà des cercles de la richesse et même de la suffisance, l'exil est une donnée immédiate de l'existence. (...)
Ainsi s'élève la voix si profondément humaine et juste de Mahmoud Darwich s'entretenant avec la poétesse israélienne Helit Yeshurun : " On peut dire de tous mes écrits qu'ils sont une poésie d'exilé. Je suis né exilé. L'exil est un concept très vaste et très relatif. Il y a l'exil social, l'exil familial, l'exil dans l'amour, l'exil intérieur. Toute poésie est l'expression d'un exil ou d'une altérité. Lorsqu'elle correspond à un vécu réel, c'est un exil concentré, comprimé. Je trouve l'exil dans chacun des mots que je cherche dans mon lexique. Mais je ne m'en plains pas. Après tout, l'exil a été très généreux pour mon écriture. Il m'a donné la possibilité de voyager entre les cultures, entre les peuples. [...] Sur cette planète nous sommes tous voisins, tous exilés, la même destinée humaine nous attend, et ce qui nous unit est le besoin de raconter l'histoire de cet exil. " (p. 111)
Parce que le monde moderne est tumulte et chaos, la tâche de l'homme moderne est de sortir du tumulte et du chaos. Comment ? En construisant une vie spirituelle à part, (...) c'est-à-dire une vie spirituelle qui ne doive rien à ce qui existe, mais vous devez la faire exister, c'est à vous de faire exister quelque chose que vous n'emprunterez pas à l'existant.
DELEUZE à ses étudiants de Vincennes
Les ateliers d'écriture sont un des rares lieux fondés sur le don et le partage, dons et partages qui nous enrichissent et nous arrachent au passage à l'abjecte logique économique, ce qui n'est pas une mince satisfaction. Aussi ai-je voulu restituer ici la dimension collective du travail en atelier, tant de celui qui le mène que de ceux qui y écrivent, même si chacun écrit pour soi dans la quête de sa singularité. (p.14)
LES MOTS CADENASSES
Un travail d'écriture sur la mémoire confronte presque inévitablement sinon au secret, du moins à cette part de non-dit dont nous avons été environnés , enfants; un certain silence dont nous avons senti le poids, la présence parfois angoissante. Il n'y a pas de famille-aucun groupe humain-où il ne se développe pas. C'est ainsi que très tôt, parmi nos premières impressions, nous avons su ce qu'était le silence; très tôt nous en avons fait l'épreuve, l'avons subi, y avons résisté avec des bonheurs variés. (p. 235)
CAUSE TOUJOURS
A chaque strate sociale son -détenteur- de parole: père dans la famille, patron dans l'entreprise, notables dans les provinces, parti au pouvoir dans la nation, doublé par ces corps apparemment neutres des administrations étatiques ; tous génèrent du discours, c'est-à-dire surtout des silences (p. 99)
On a beau répéter sur tous les tons qu'il ne peut y avoir de -hors sujet-, la résistance de certains esprits à s'accorder (et à accorder aux autres) une liberté d'interprétation est des plus frappantes. Il m'importe à moi de tenir bon sur cette donnée essentielle qui fait de l'atelier d'écriture un des rares lieux où vivent et se vivent des principes libertaires, -Une forme de gouvernement sans maître ni souverain- (Proudhon). C'est à cette condition impérative que l'atelier d'écriture favorise la formation d'esprits libres, même si cette liberté s'accompagne d'angoisse. (p. 40)
Ce livre est le fruit d'une trentaine d'années de travail dans les ateliers d'écriture. Il ne prétend ni à l'exhaustivité ni au statut de méthode. Tout au contraire, si j'ai une certitude, c'est que l'atelier dépend du cheminement intime de l'écrivain qui l'anime; affaire de désir et d'instinct, de nécessité comme l'écriture elle-même, pressant chacun de réinventer une méthode liée à sa conception unique de l'acte d'écrire, à sa langue et à son rapport au monde.