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Critique de Rodin_Marcel


Louis-Combet Claude – "Bethsabée, au clair comme à l'obscur (mythobiographie d'Hendrickje Stoffels)" – Corti, 2015 (ISBN 978-2-7143-1136-8)

Ce qui frappe en tout premier lieu lors de la lecture de cet ouvrage, c'est bien la qualité esthétique extra-ordinaire de l'écriture, qui atteste immédiatement de l'aptitude de l'auteur à se mesurer à cette oeuvre essentielle, fondamentale qu'est la "Bethsabée" de Rembrandt.
Dans une toute autre approche, certes, Claude Louis-Combet me fait ainsi penser au Proust rendant littérairement l'oeuvre d'un imaginaire Elstir ou encore à Patrick Grainville fouillant le rapport entre le maître peintre et la chair humaine du modèle dans son "Atelier du peintre". J'éprouve une profonde admiration pour ces écrivains qui parviennent ainsi à rendre compte par l'écriture (discursive par nature) d'un art aussi différent par l'immédiateté (apparente) de son moyen d'expression.
Ces écrivains ne se lancent dans un tel défis qu'après avoir travaillé longuement leur écriture à travers d'autres ouvrages, et Claude Louis-Combet ne fait pas exception à cette règle, puisqu'il a déjà beaucoup publié.

Ce qui m'amène à la deuxième caractéristique garantissant la solidité de cette entreprise hors du commun : l'auteur sait parfaitement ce qu'il vise, il poursuit un objectif qu'il appelle une "mythobiographie" et qu'il expose clairement dans son ouvrage, plus spécialement à deux reprises (pp. 84-90 puis 150-153 - voir citations)

En effet, Hendrickje Stoffel appartient à cette population de très humble extraction qui ne laisse habituellement aucune trace dans les Grands Travaux des Eminents z'Historiens (surtout dans la tradition universitaire franchouillarde) : il semble d'ailleurs qu'Hendrickje ne savait ni lire ni écrire.
Inversement, la vie de Rembrandt est très connue, un ouvrage aussi épais que laborieux comme celui de Gary Schwartz (intitulé sobrement "Rembrandt" et publié chez Flammarion en 2006, voir recension) en fait le tour quasiment minute par minute, sans fournir pour autant la moindre explication spirituelle essentielle.
Fort justement, fort simplement, pour étayer sa mythobiographie, l'auteur s'appuie sur la mine que constituent toutes les représentations (dessins, eaux fortes, peintures etc) de sa compagne produites par Rembrandt : la mythobiographie n'est pas si "mytho" que son appellation ne le laisserait supposer...

Enfin, pour fonder son projet, l'auteur s'appuie sur sa propre perception de ce tableau fondateur que fut pour lui (et pour tant d'autres) la représentation magistrale de la Bethsabée. Il y a là une part d'interprétation subjective que je ne partage pas, faisant d'Hendrickje la "servante" du "Maître" – deux termes employés à de multiples reprises, qui – même s'ils ne s'appliquent ici qu'au domaine artistique du modèle posant pour le peintre – me semblent inappropriés. Pour ma part, plus je regarde ce tableau, plus je suis persuadé qu'il repose sur un profond respect de l'Homme-Rembrandt envers sa Compagne-Hendrickje.

Cette divergence avec l'auteur ne m'interdit pas d'identifier un point d'accord autrement plus fondamental : tout comme Claude Louis-Combet, je suis persuadé que cette oeuvre ne pouvait apparaître sous le pinceau de Rembrandt qu'à travers le vécu de la fusion entre les liens spirituels et charnels qui – les nombreuses autres représentations en attestent – furent consubstantiels à la relation entre cette femme-là et cette homme-là et firent éclore ce nu d'une grande pudeur, d'une intériorité spirituelle probablement sans égal dans toute l'histoire de la peinture occidentale.

Je termine par un point que l'auteur n'aborde pas du tout : cette représentation d'Hendrickje en la Bethsabée biblique repose sur une relation femme-homme qui n'existe plus de nos jours.
- D'abord parce qu'elle présuppose une culture spirituelle (fondée ici sur la Bible, mais peu importe, le Livre Saint ne sert ici que de support à une réflexion spirituelle profonde, traversant toute l'oeuvre de Rembrandt) qui est bafouée et même combattue dans notre société centrée sur un matérialisme consumériste immédiat.
- Ensuite parce qu'elle suppose du Respect et de la Pudeur au sens le plus fort de ces termes – deux notions "ringardisées" aujourd'hui, la plus grande partie de gent féminine s'ingéniant le plus souvent à exhiber son anatomie dans une démarche marchande plutôt vile visant à une "réussite" sociale et professionnelle tout à fait intéressée.
- Enfin parce que l'ensemble de notre société se vautre dans une pornographie plus ou moins déguisée contribuant à une marchandisation du corps humain (féminin ou masculin) et rendant impossible le regard que Rembrandt avait pour Hendrickje.

Un livre incontournable pour toutes celles et ceux qui savent encore combien l'oeuvre de Rembrandt-Hendrickje nourrit la vie de tous les jours.
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