Le darwinisme le plus brutal s'appliquait ; seuls les plus sains, les plus jeunes et les plus forts survivaient.
Pendant des jours j’ai cru que tu étais mort, a-t-elle prononcé, très lentement. Chaque seconde de chaque minute de chaque heure de ces journées a été un enfer. Pire que l’enfer. C’était comme être morte dans la vie. Je ne veux jamais repasser par là.
L’Ukrainien m’avait regardé dans les yeux.
-J’en sais plus aujourd’hui en matière de souffrance que je n’en savais alors. Je sais aussi que, pour prendre une décision drastique, une personne doit sentir qu’elle n’a pas d’alternative, quelles que soient les conséquences. Je ne pense pas que tu as atteint ce point. De plus, tu laisses trop la responsabilité que tu ressens à notre égard peser sur tes épaules. (Pritchenko avait secoué la tête.) Je suis ton ami, et je mourrais pour toi s’il le fallait. Je comprends ton point de vue, et celui de Lucia aussi. Mais je me tiendrai à tes côtés quoi que tu décides.
-Merci, Prit.
-Ces gardes sont d’anciens taulards. Le rebut du genre humain. La lie de la société. Le mal incarné. Ne croisez pas leur chemin et ne les faites pas chier. Ils tirent d’abord et posent les questions ensuite. Mais ils sont la loi ici, l’armée privée du révérend. Ils exécutent ses ordres à la lettre. De plus la plupart des gens de Gulfport les adorent. Ils sont convaincus que ces brutes leur permettent de vivre en paix et en sécurité.
Pas besoin de me demander où se cachait Prit. L’Ukrainien ronflait bruyamment sur l’autre lit. Je me souvenais vaguement de lui, aussi épuisé que nous, mais refusant de se mettre au lit jusqu’à ce qu’il soit sûr que Lucia et moi étions au chaud, au sec et sans danger. Notre ange gardien blond.
Hé, qui pourrait résister à l'ennui
D'être immortel et toujours sage ?
Les lâches meurent bien des fois avant leur mort,
Mais les vaillants ne goûtent la mort qu'une fois.
W. Shakespeare, Jules César.
Malgré le chaos, la mort et la dévastation de par le monde, certaines choses demeuraient identiques. Les gens étaient toujours violents, égoïstes et dangereux. Quelques-uns devenaient des meurtriers si la situation le demandait. Mais les gens continuaient de rire, de chanter, de rêver et de pleurer – et même de tomber amoureux.
J'avais vu trop de gens mourir de manière horrible durant les derniers dix-huit mois. Avant l'apocalypse, je n'avais jamais approché la mort qu'en achetant des steaks au supermarché.
La carpette a encore grogné et, cette fois, a bougé légèrement. Je me suis approché prudemment, sans quitter des yeux ce monceau de tissu pourrissant. Quand j'ai regardé de plus près, mes cheveux se sont dressés sur ma tête.
Ce n'était pas un tapis. C'était un putain de mort-vivant.