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Critique de berni_29


Je voudrais ce soir vous entretenir de L'affaire Charles Dexter Ward, un roman écrit par le fameux Howard Phillips Lovecraft.
Pénétrer dans les pages de ce livre fut pour moi un voyage halluciné. Ce fut comme descendre dans un labyrinthe enfoui dans des profondeurs abyssales et m'y perdre. Entrer dans un cauchemar les yeux ouverts. L'auteur nous y entraîne pas à pas, la tension est grandissante à chaque page.
C'est un récit dans le récit. Y entrer, c'est ouvrir des portes que l'on n'aurait sans doute jamais dû franchir. Tiens ! À propos de porte, à l'instant où je vous écris, j'entends celle qui donne sur le côté du jardin et qui bat dans le vent. J'étais persuadé de l'avoir verrouillée... Comme quoi, on n'est jamais sûr de rien... J'irai la refermer tout à l'heure, plus tard lorsque j'aurai fini de vous écrire cette chronique, je ne veux surtout pas perdre le fil de mes idées...
Nous sommes à Providence, dans le Rhode-Island, au début du XXème siècle.
Le jeune Charles Ward est passionné d'histoire et de généalogie. Cette passion a priori sans danger va l'amener au fil de ses investigations à la rencontre d'une sordide histoire dont son aïeul Joseph Curwen, échappé de Salem lors de la grande chasse aux sorciers du XVIIIème siècle, fut le principal instigateur. Accusé de sorcellerie, Joseph Curwen se réfugie à Providence où il deviendra armateur.
Cette découverte marque la plongée du jeune homme dans les méandres de la folie et dans l'atermoiement des autres, ses proches et nous autres lecteurs par la même occasion, lorsque des voix surgissent des livres anciens que Charles a imprudemment ouvert un jour...
C'est donc sur les traces de son ancêtre sorcier que l'intrigue du roman va se construire, au travers tout d'abord des vieilles correspondances et chroniques explorées, puis des voyages de Charles, de Providence à Salem, puis jusqu'en Transylvanie. La Transylvanie... Si vous voyez ce que je veux dire...
Le vertige de l'histoire tient sans doute dans la métamorphose progressive de Charles Dexter Ward au retour de son voyage...
Parfois, on voudrait rêver que les morts ne sont pas vraiment morts, ici je vous assure qu'on voudrait croire à l'inverse.
La réalité est porteuse d'horreur, c'est là tout le talent de Lovecraft de la saisir et nous en livrer ses dédales.
J'espère seulement ne pas perdre la tête, comme cette petite figurine de cire posée sur mon bureau dont le visage penche vers moi et semble fondre légèrement au moment où je vous écris.
Je me rappelle avoir découvert Lovecraft lorsque j'étais adolescent. À l'époque les textes de cet auteur me faisaient davantage peur qu'aujourd'hui, il y avait aussi quelque chose de psychédélique et de gothique qui stimulait mon imaginaire, l'idée d'aborder les confins d'autres mondes secrets, de transgresser leurs frontières étaient grisants, mais ces récits m'empêchaient aussi de dormir...
Aujourd'hui je ne me fais plus avoir. Je sais bien que ces chuchotements qui parviennent de la cave, derrière ses murs sombres enterrés sous la terre, ne sont que les bruits normaux d'une maison qui respire... Pourtant ce soir, ces bruits n'ont jamais été aussi plaintifs... Sans doute ce maudit vent...
Il y a dans ce récit une esthétique de l'inconnu, de l'imaginaire, de l'effroyable... J'ai été saisi par cette beauté dans l'écriture. Elle dessine les profondeurs, les espaces souterrains, les labyrinthes, les rues étranges et oniriques de Providence, ville à la fois sublimement horizontale et déjà furieusement verticale.
Derrière le rideau des ténèbres apparaissent une bibliothèque, une forêt, un cimetière, une cave, un tableau, qui deviennent brusquement l'entrée secrète et improbable vers l'envers du décor. L'enfer, dites-vous ? Vous avez dit l'enfer ? Oui sans doute ai-je dit l'enfer, je ne sais plus, les mots brusquement m'échappent...
Car lire et écrire, c'est peut-être revenir sans cesse vivant du pays des morts...
Ici ce qui suscite l'angoisse et la terreur c'est sans doute ce qui est occulte, ce qui se révèle par le non-dit, le non-vu...
Il y a des portes qu'on ne devrait jamais ouvrir... Certains livres sont parfois des tombes, des entrées secrètes vers des mondes mystérieux ou oniriques presque à portée de main, dont nous ne parvenions pas jusqu'à présent à trouver l'accès.
Je comprends maintenant les raisons pour lesquelles Stephen King était fasciné par l'oeuvre laissée par Lovecraft.
Je me suis parfois demandé si à mon tour entrer dans l'univers de Lovecraft ne risquait pas de mettre ma santé mentale en danger, mais ce soir je tiens à vous rassurer : tout va très bien.
Je regarde le visage de cette figurine de cire dont les yeux se figent sur mon regard. C'est peut-être à cause de cette bougie que j'ai dû allumer dans ma précipitation lorsque l'électricité s'est subitement coupée, c'était peu après que la porte du jardin a commencé à battre dans le vent. Il me faudrait descendre à la cave, chercher le compteur, rétablir le courant, j'ai un peu la flemme car je dois terminer cette chronique...
Les livres sont parfois des lieux où le lecteur perd pied, perd la raison, n'est plus maître du temps ni de l'espace, où les personnages à travers leurs attentes, leurs blessures et leurs aspérités, nous tirent désespérément par les bras vers leurs destins implacables et éperdus.
Entre poésie et fantastique, les territoires inconnus des livres sont vastes qui peuvent autant nous embrasser que nous embraser...
Mais voilà qu'à présent j'entends craquer les marches de l'escalier qui mène à la cave ! Je dois vite vous abandonner provisoirement. Je reviendrai conclure cette chronique un peu plus tard.
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