C'était bien assez pour une seule journée. Pourtant, à tout ce qui déjà pesait sur moi, vint s'ajouter une autre scène inquiétante, impressionnante. Chemin faisant, j'aperçus un groupe d'une dizaine de garçons qui en cernaient un autre, plus petit, qu'ils brimaient. Je n'en connaissais aucun.
J'entendis une fille dire à sa camarade:
- Jeff est "anormal", tu sais. Maman a voulu faire une démarche pour voir si on ne pouvait pas empêcher des enfants anormaux de se mélanger à des enfants normaux comme nous, mais il paraît que ce n'est pas si facile...
Ma voisine de gauche, pendant toute l'après-midi, ne cessait pas de me chuchoter:
- Une saloperie! Voilà ce que tu es. Dis-le, Grosse-lèvre, dis que tu es une saloperie. Dis-le!
-Aide-moi, Willy. Toi seul, tu le peux. Tu vois bien la vie qu'ils me font mener, tous. Toi seul...
Je pouvais tout leur dire. Un grand privilège. Rares sont les êtres à qui l'on peut tout dire. Lorsqu'on n'a plus personne pour cela, alors on est affreusement seul.
Certains bleus font beaucoup moins mal que l'indifférence.
Je devinais que Willy, lui aussi, avait sa "cicatrice" ; mais la sienne ne se voyait pas. (p.61)
un de mes premiers livres
Rares sont les êtres à qui l'on peut tout dire. Lorsqu'on n'a plus personne pour cela, alors on est affreusement seul.
Et ton père, Willy ? Je ne l'ai pas encore vu. Qu'est-ce qu'il fait ?
Je fus très gêné quand il m'expliqua que son père était mort depuis longtemps.
(...).
Je devinais que Willy, lui aussi, avait sa "cicatrice" ; mais la sienne ne se voyait pas (chapitre 8).
Donc si j'allais chez M. Sandt, c'était moins, je crois, pour "la vieille chose qu'il était" que simplement pour ce regard bleu qui s'allumait tant à me voir arriver. (p.44)