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Critique de La_Licorne_a_lunettes


Il y a des rencontres qui marquent… comme celle avec le dernier roman d'Anne Loyer « Car Boy ».

La lumière de l'aube sur la couverture m'avait déjà séduite, comme une invitation à assister à la naissance d'une histoire hors du commun, à vivre une aventure extraordinaire. Et j'ai ouvert le livre !

"Fonce !"

Il y a des mots qui vous alpaguent d'un coup, un style, un ton. Comme un coup de foudre. On est pris, on sait qu'on va aimer, qu'on va vibrer. On lit « Fonce ! » On entend « Action ! » et le film commence ! On a hâte d'aller au bout de l'histoire et en même temps on ne veut pas que ce soit une sortie trop rapide. On déguste, on prend le temps de se perdre dans les bras et les pensées des personnages, si attachants, si bouleversants, si humains.

"Son cri se perd dans le paysage qui s'enfuit. C'est quoi la vie finalement ? Une voiture, une fille et une route. Droit devant. "

Et on embarque dans ce road-trip comme un road-book ! Raphael : un gamin de quatorze ans, un cabossé de la vie, déjà, est propulsé au coeur d'une casse, énigmatique clinique de la tôle froissée : « le paradis des abîmés ».

"Le paysage déglingué et cabossé collait tellement bien avec celui que j'avais dans le coeur que ça pouvait pas être un hasard."

La vie ne l'a pas loupé : sa mère est morte et le voilà confié malgré lui à ce père, un inconnu qui vit dans cet « hôtel pour épaves ». Deux femmes vont tenter, chacune à leur manière, de lui redonner le goût de vivre, de tenter de le ramener à la surface. Mylène, la fille du « tôlier », magnétique avec ses fougueux dix-sept ans et terriblement troublante, une âme-soeur écorchée vive. Kathia, la petite voisine de l'autre côté de la route, huit ans à peine et la maturité d'un sage, un hymne à la vie malgré son fauteuil roulant.

"Mylène. le miracle dans le sordide."

"Kathia, c'était un vrai rayon de soleil au milieu de la poussière. (…) La gamine m'a adopté tout de suite, sans réserve, sans questions superflues, entièrement habitée par l'action qui la faisait pousser ses roues dans le sens de la vie."

Première découverte d'Anne Loyer pour moi, au-delà des albums. Une révélation tant le portrait dressé de cet ado blessé est puissant et lumineux. Si le thème de l'adolescent qui se cherche peut paraître « classique », rien ne l'est dans le style, dans l'écho du poids de chaque mot, dans cette musique intérieure hurlant le malaise du manque de repères, criant la douleur de l'emprise du doute et les atermoiements d'une personnalité à fleur de peau qui se construit à chaque minute. Les mots défilent à toute allure, des mots crus plein les yeux qui vous crèvent l‘imaginaire en moins de deux. Des cris étouffés de mal-être : la fureur de vouloir comprendre, pour survivre. Et les images s'ancrent plus profondément à chaque page, au rythme de la respiration bancale de cette jeunesse qui brûle.

"Quinze ans sans père, ça vous forge un caractère… faut croire que quinze ans sans fils aussi. Tant pis."

Au coeur de ce cimetière de ferraille, des odeurs métalliques, des couleurs éblouissantes, des relations électriques, une haute sensibilité à chaque page. le rythme cardiaque du lecteur s'accélère, calant ses pulsations sur celles de Raphaël.

"Un morceau de tôle en travers du coeur."

J'ai intensément aimé. Tant de justesse dans le choix des mots comme dans la construction narrative, avec un premier chapitre « flashback » tel un arrêt sur image sur l'instant fondateur, que l'on retrouve ensuite et qui éclaire tout. Un ton juste, une écriture ciselée qui sonne juste, à la hauteur de cet adolescent qui se raconte sans se la raconter. Une immersion brute dans sa conscience qui tâtonne, ses coups de gueule et ses coups de coeur, ses gamelles et ses petites victoires, cette marche périlleuse au bord du précipice du monde adulte. Un livre comme une respiration : au souffle court et haletant quand Raphaël se rebelle, aux pauses d'inspirations profondes quand ses méditations et ses doutes l'invitent à temporiser pour mieux comprendre, en apnée à la limite de l'asphyxie quand il lutte pour remonter à la surface de son ébauche de vie et qu'il manque d'oxygène.

J'y ai ressenti la révolte bouillonnante de Lebrac dans La Guerre des Boutons, insoumis ; celle de Kamo chez Daniel Pennac, intelligent et sensible ; ou encore celle de Holden dans L'Attrape-coeur de Salinger, marginal et impulsif : un portrait authentique des fluctuations de l'humeur adolescente.

L'écriture, précise dans le moindre détail pour retranscrire chaque émotion, est très visuelle, très cinématographique, apportant ainsi une réelle épaisseur au récit et stimulant tous les sens du lecteur.

"La pièce a semblé respirer. Moi aussi."
"(…) Une carlingue grise dont le capot bouffait la terre."

Les dialogues affutés sont percutants, parfois cinglants, vous giflant presque le visage par la force de leur répartie.

"Le rectiligne vaut mieux éviter si tu veux atteindre ton but."
"(…) Il a rangé ses insultes sous son capot et ça me repose."

Un roman pour la jeunesse, sans aucun doute. Un ROMAN, tout court, pour tous. À lire de toute urgence !

"Et la route défile sous mes roues. Et ça me fait un bien fou, comme si j'imprimais sur le bitume un espace infranchissable entre moi et cette nuit de merde."

(…) "J'avais presque oublié que le monde est planté de murs."
Lien : http://la-licorne-a-lunettes..
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