L'art est un ogre sans compassion.
- Tu vois, Kéma, ta maman habite là maintenant. Dans le soleil. En ce moment elle se couche doucement et demain matin elle reviendra. Et chaque jour nouveau, elle t'accompagnera.
Tous les solitaires le savent, le plus petit insecte devient un visiteur, et le moindre cliquetis une musique de fond.
Ce qu'il ressentait était bien plus que de la détresse.
Inqualifiable, le mot n'existe pas. Et, en même temps, une force inconnue de lui jusque-là semblait habiter tout son être. La puissance de l’irréversible. Presque une jouissance. Un mélange d'euphorie et de chagrins extrêmes que connaissent bien tous les blessés graves de l’âme. Cette impression diffuse que rien ne pourra être pire. Donc, presque une envie incongrue de sourire. Paradoxalement, une sorte de bien-être. C'est ça... une jouissance. Mais inavouable tant elle aurait pu paraître indécente en ces circonstances. C'est pour cela qu'il avait demandé à tout le monde de s'éloigner. Pour pouvoir sourire à Mamma Lisa sans en avoir honte. Sans qu'on puisse douter de son chagrin.
Zarkane peint en musique. Dans le silence. Mais chaque touche de peinture chante en lui. Il compose réellement avec les notes qui lui viennent.
La cellule est jonchée de débris. Il en est ainsi des colères des hommes lorsqu'ils n'en n'ont pas d'autres à se mettre sous la main. Et, de vaisselles cassées en bombardements, l'humanité se venge sur l'inerte. Une faiblesse de plus.
Mais elle en a tant.
Et les plus belles fleurs poussent sur le fumier. C'est ainsi. Depuis que le monde est immonde. Mais, bon. Les hommes s'occupent tant à tout changer, qu'ils en oublient qu'il suffirait de tout refaire. Hélas, ils n'en ont pas le temps.
C'est dangereux le cinéma. Ça donne des idées.
Quand on perd un trop gros morceau de cœur, ce qui reste ne suffit pas.
Il y a des dates comme ça. Des bouts de calendriers ordinaires qui vous tatouent la mémoire au fer rouge. La couleur du numéro des jours qu'on arrange en petites feuilles de papier blanc fin. Des jours par lesquels on passe toutes sa vie sans les remarquer. Et qui, après, nous imposent des anniversaires de cauchemar. Ce sont des dates de deuil, d'accident, de rupture. Et marquée de calendrier rouge et blanc, et de pierres noires, notre mémoire quotidienne se lève de plus en plus du mauvais pied. Et c'est ainsi que l'on vieillit. De bougie éteinte en bougie éteinte. Et qu'on meurt. Essoufflés.