Citations sur Almost blue (10)
-Tu veux que je te dise, petite? Cet Iguane... ce qui m'intéresse plus que l'arrêter, c'est de le comprendre.
-Pas moi. Moi je veux l'arrêter. Et s'il te plaît, Vittorio..., ne m'appelle plus petite. Ça m'agace.
Il continue à me regarder, il continue à me regarder dedans et il voit aussi cette chose qui rampe très vite sous ma peau, qui se lève et se baisse sous mes vêtements, monte le long de mon bras, glisse sur ma poitrine et me gonfle le cou et court sur ma langue et pousse contre mes lèvres, pousse, pousse, pousse, alors j'ouvre la bouche et le lui montre cet animal qui est en moi, qui gonfle le cou lui aussi, ouvre la bouche lui aussi, et fait siffler sa langue vers cet homme qui me regarde, qui continue à me regarder dedans, les yeux fermés.
Puis je plaque ma main sur mes lèvres ouvertes et je l'avale d'un coup sec et je l'enfonce dans ma gorge, tellement fort que ça me fait mal.
Je m'enfuis, je laisse tomber la cigarette que je viens juste d'allumer, je l'écrase sous ma semelle et je me faufile parmi les gens vers une sortie de secours.
Mais avant je le regarde encore, bien en face, cet homme aux yeux fermés qui arrive à voir en moi.
Qui es-tu?
Qui es-tu, toi?
Quand le soleil se couche, quand il disparaît complètement derrière les maisons, si bas qu'il semble s'être enfoncé dans la terre, sur la piazza Verdi les lampadaires s'allument. Et tant qu'ils ne sont pas chauds, tant qu'ils sont encore tièdes, opaques et pâles, la lumière reste suspendue , comme attachée au verre et ne descend pas jusqu'aux arcades où les ombres sont plus ombres que les autres et les voûtes plus noires.
Croyez-moi, inspecteur, lui avait dit Matera. Cette ville n'est pas comme les autres.
-Comment était-elle, cette voix?
-Verte.
-Verte?
-Froide, fausse, contrainte...comme s'il devait la retenir pour ne pas la laisser s'échapper de sa bouche. Comme s'il y avait quelque chose d'autre qui bougeait dessous.
-Et pourquoi verte?
- A cause du "erre". Parce que c'est une voix râpeuse et que je n'aime pas ce qui racle. C'est une vilaine voix. Une voix verte.
Cette ville, lui avait dit Matera, n'est pas comme les autres villes. Elle n'est pas seulement grande, elle est aussi compliquée; Si tu la regardes comme ça, en te baladant, Bologne semble toute d'arcades et de places, mais si tu la survoles en hélicoptère, elle est verte comme une forêt grâce aux cours intérieures des maisons qu'on ne voit pas de la rue. Et si tu vas dessous avec une barque , tu trouves tant d'eau et de canaux qu'on dirait Venise. Un froid polaire l'hiver et une chaleur tropicale l'été. Une mairie rouge et des coopératives milliardaires. Quatre types de mafia différentes qui au lieu de se tirer dessus recyclent l'argent de la drogue dans toute l'Italie. Tortellini et satanistes. Cette vielle est différente de ce qu'elle paraît, inspecteur, cette ville a toujours une moitié cachée.
Je ne l'aime pas . c'est une voix verte. Elle glisse sur la contrebasse tordue que l'on entend à peine en fond sonore et se fripe comme un lambeau de peau qui frissonne
L'université,, inspecteur Negro? L'université? C'est une ville parallèle encore plus mystérieuse. Des étudiants qui vont et viennent de toute l'Italie, qui abandonnent les cours puis les reprennent, qui dorment chez des mais ou des parents, toujours au noir, sans quittances ni papiers.Mais vous savez que dans les années soixante tous les terroristes venaient se cacher ici, à Bologne, et vous savez pourquoi? Parce que dans n'importe quelle vielle, un garçon bizarre, avec un accent bizarre, qui entre et sort d'une maison à n'importe quelle heure du jour et de la nuit sans que personne ne sache qui il est, ce qu'il fait, ni de quoi il vit, qui quelquefois disparaît puis revient, dans n'importe quelle autre ville ce garçon serait repéré par quelqu'un, mais à Bologne, non. A Bologne, c'est le portrait-robot de l'étudiant moyen. Vous dites: l'université, inspecteur? L'université est une ville clandestine.
Je ne l'aime pas. C'est une voix verte. [...] C'est une voix verte et elle est verte parce qu'elle n'a pas de couleurs. La couleur d'une voix est donnée par la respiration de la personne. Par la puissance de cette respiration. Si elle est basse alors elle est humble, triste anxieuse, implorante. Si elle est haute alors elle est sincère, ironique, ou débonnaire. Si elle est plate elle est indifférente ou définitive. Si elle est forte, d'un seul jet, elle est menaçante, vulgaire ou violente. Si elle monte et descend et s'arrondit sur les bords, elle est affectueuse, malicieuse ou sensuelle. Cette voix-là n'est rien. [...] C'est une voix verte qui fait semblant.
Elles ont une voix les couleurs, un son, comme toutes les choses. Un bruit qui les distingue et que je peux reconnaître. Et comprendre. Le bleu, par exemple, avec ce l au milieu, c'est la couleur du lait, des loups et des libellules. Les vases, les venelles et les vaches sont violets et le jaune est la couleur aiguë d'un jappement. Et le noir, je n'arrive pas à l'imaginer mais je sais que c'est la couleur de nulle part, du néant, du vide. [...] Par le bruit de l'idée qu'elles contiennent. Le vert, par exemple, avec ce r traînant qui accroche, démange et écorche la peau, c'est la couleur d'une chose qui brûle, comme le soleil. Toutes les couleurs qui commencent par b, au contraire, sont belles. Comme le blanc ou le blond. Ou le bleu, qui est très beau.