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Citations sur La huitième vibration (11)

A Massaoua, la nuit , les gens dorment dans les rues. C'est à cause de la chaleur. On ne peut pas rester à l'intérieur parce qu'on y étouffe dans un air immobile et épais, dense en souffles et forts en odeurs, qui vous pèse comme une couverture....
A Messaoua, quand le soir vient, les gens sortent de chez eux leur lit sous le bras. Anghareb, c'est ainsi que s'appelle la couche faite de sangles de cuir entrecroisées et tendues sur un cadre de bois ou de fer, avec quatre pieds guère plus hauts qu'une paume. Sur les balcons, les vérandas, les terrasses plates en haut des maisons, dehors, à côté de la porte ou au milieu de la rue, où il y a de la place, couverts par un tapis , une peau de vache ou juste une fouta, les anghareb se sont répandus dans toute la ville, ils couvrent les ruelles de la mosquée de Cheik Hammali en bas vers le bazar et en haut jusqu'au port, ils passent la rade, arrivent aux baraques et au fort de Taouloud, et au de-là de la digue, sur la terre ferme, jusqu'aux plaines de Otoumlo et de Monkoullo, mais pas au-delà parce que là, il y a des hyènes et on ne peut dormir à ciel ouvert, même s'il fait chaud.
S'il est encore tôt, alors entre les ruelles de Maddaoua on entend parler doucement, on entend murmurer, dans un arabe aspiré et rauque, dans un tigré large, aux voyelles ouvertes, on entend chuchoter, dans la langue des Baria et des Kounama, dans les dialectes de Bombay et de Sumatra des commerçants banians, en grec et aussi en amharique, mais là doucement, très doucement, parce que c'est la langue du Négus et des espions. Puis, quand la brise enfin arrive et que l'air devient noir, les voix coulent toujours plus loin, toujours vers le fond, et à Massaoua, il ne reste que les bruits du sommeil.
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La passerelle était dégagée et le capitaine avait cessé de hurler. Sur le pont du vapeur, une compagnie de soldats attendait de débarquer. Immobiles sous le soleil, épaules contre épaules, la veste couleur de bronze déjà trempée de sueur et les visages rouges sous les calots blancs, ils restaient tellement collés au parapet usé par les embruns qu'on eût dit une rangée de vieilles dents d'or qui auraient mordu un os. Il y en avait un qui vacillait, pâle, comme sur le point de s'évanouir.
- Une livre qu'il tombe, dit Vittorio qui, entre-temps, était arrivé.
Cristoforo ne lui répondit pas. Il regardait les premiers passagers qui débarquaient de la passerelle, comme s'il cherchait quelqu'un.
- Ahmed ... dix centimes ! lança Vittorio, mais il était déjà trop tard, car le soldat se pli sur le bastingage comme une serpillière mouillée et son béret tomba dans l'eau, où les gamins s'étaient aussitôt précipités pour aller le prendre.
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Non, ce n'est pas le moment de faire de l'ironie, pense le lieutenant du bureau politique. Ils vont avoir beaucoup à faire, à Rome. Il faut choisir un bouc émissaire et couvrir de gloire une défaite. Crispi a déjà sauté, Baratieri sautera aussi, et tout redeviendra comme avant. Leur tâche, à la Colonie, sa tâche, est de trouver des héros à montrer aux gens. Les morts, on le sait, sont tous des héros mais il en faut des vivants.
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Nous y somme allés sans préparation, mal commandés et indécis, et, ce qui est pire, sans le sou. En nous fiant à la chance à l'art de s'arranger et à notre bonne mine . Nous l'avons fait pour donner un désert aux plèbes déshéritées du Midi, un débouché au mal d'Afrique des rêveurs, pour la mégalomanie d'un roi et parce que le président du Conseil doit faire oublier les scandales bancaires et l'agitation de la rue. Mais pourquoi est-ce que nous faisons toujours ainsi, nous autres Italiens ?
Mais ensuite, au fur et à mesure qu'ils s'approchaient du fort, cette colère lui est un peu passée, et quand est arrivée une patrouille de la cavalerie indigène, et qu'il a vu les lances, le tarbouch avec la plume de faucon et l'écharpe rouge de l'escadron Cheren, la certitude d'être sauvé a été si forte que le journaliste a cessé d'écrire dans sa tête et a commencé à penser seulement à l'eau, au ventre qui rugit et aux jambes qui lui font mal.
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Vittorio descendit de l'anghareb et la prit dans ses bras. Elle brûlait comme si elle avait la fièvre, il sentait sa peau à travers le coton fin de la chemise, la joue chaude contre sa poitrine. Il regarda la mer au-delà de la balustrade, la petite lumière du phare qui brillait, inutile et lointaine. On doit le tuer, pensa-t-il, et il le fit avec la voix de Cristina, son intonation désespérée et décidée, et ça aussi, il le trouva sensuel, incroyablement sensuel, elle nue entre ses bras en train de réfléchir au moyen de tuer son mari avec tant de détermination naturelle, parce qu'à présent la terreur et la désorientation avaient disparu, et lui il la suivait, comme si ce n'était de sa part à elle qu'un caprice obstiné d'enfant gâtée qui veut une chose et finira par l'obtenir. Pourquoi est-ce que ça lui faisait cet effet de savoir que cette petite femme à la peau brûlante était déjà une meurtrière, même si ce n'était qu'en pensée, et qu'il était son complice ? C'était du désir, un désir qui lui poussait fort dans le ventre et lui coupait le souffle, et il était impatient qu'apparaisse une idée, n'importe laquelle, pas tant pour résoudre le problème de Léo que pour faire l'amour avec elle, parce que c'était ce qui allait se passer à l'instant où ils auraient trouvé quelque chose.
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Ce n'était pas la chaleur qui faisait bouillir l'air, si forte qu'elle brouillait la vue, ce n'était pas la chaleur qui le rendait fou. Couché sur le ventre sous une toile de jute entre un buisson d'acacia et une fente dans la roche, le lieutenant Amara devait crisper ses muscles pour ne pas se mettre à vibrer comme une corde de violon. Mais ce n'était pas à cause de la chaleur, ce n'était pas à cause du sable qui lui avait décapé les moustaches et les cheveux jusqu'à leur donner l'apparence de l'etoupe et de la paille de fer, et qui grinçait entre ses dents, salé, parce que la mer n'était pas loin, ce n'était pas non plus à cause de la sueur qui lui coulait en rigoles tout au long du corps sous cette tente improvisée, traversée par le vent chaud du khamsin, qui n'était pas un vent mais une haleine de poussière brûlant la peau. Ce n'était pas pour ça que le lieutenant Amara serrait les poings et grinçait des dents comme un chien.
Ce qui le rendait fou, c'était l'immobilité. La stase forcée. L'inaction. Et le lieutenant de cavalerie Vincenzo Amara n'était pas fait pour l'inaction.
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Parce que quand tu te regardes dans la glace, tu vois que tu ressembles plus à moi qu’à ces faces d’orge d’Italiens. Parce que toi aussi tu penses comme moi, mon frère. Tu le sais que Ménélik n’est pas le souverain le plus éclairé du monde et que l’Abyssinie doit être changée, mais si une chose t’appartient, alors tu peux la changer, si cette chose n’est pas à toi, tu ne peux rien faire.
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Si ça n'avait tenu qu'à lui, il se serait promené en sandales, avec une fouta de coton autour de la taille. Rien d'autre, même pas de caleçon. Comme faisaient depuis toujours tous les habitants de cette ville infernale qui cuisait sous le soleil le jour et bouillonnait la nuit, ceux qui y étaient nés, pas ceux qui y étaient venus, comme lui, et ceux qui vivaient en Italie, comme le Chevalier, lequel, en pensant à la Colonie, imaginait du lin immaculé et de fraîches brises marines, et n'aurait jamais toléré un employé colonial, de première classe en plus, en sandales et tunique. Et sans caleçon.
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Nous avons cru nous imposer à quatre bédouins achetés avec de la verroterie et en fait nous sommes allés casser les couilles à l’unique grande puissance africaine, chrétienne, impérialiste et moderne. Même des timbres, il avait fait imprimer, le Négus.
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Il voit des Tigré au torse nu, le gabi enroulé autour de la taille, pieds nus, des Choans en longue tunique blanche, des Galla au corset de chèvre, des Beni Amer aux cheveux crépus, hauts sur la tête, des Ethiopiens qui piétinent la poussière de leurs sandales, les épaules couvertes d'un mantelet de tissu. Ils portent des boucliers de cuir de rhinocéros et d'hippopotame, des lances longues aux pointes larges, des guradè courbes effilés comme des rasoirs des cartouchières en bandoulière et beaucoup, énormément de fusils.
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