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Critique de Bdotaku


Clap de fin d'une série totalement azimutée !
Le lapin Polo, fou de désespoir après la disparition de la dame des sables, a déclenché une formidable tempête de neige et provoqué un désastre climatique : tout est gelé, sauf le PetitGhistan : les guerres s'arrêtent et des cohortes de migrants se jettent sur les routes pour se réfugier dans la contrée préservée. Cette nouvelle donne va par ailleurs provoquer l'ire de la banque du Temps puisque, avec l'arrêt des conflits, Manie ne peut plus rembourser en morts sanglants et trébuchants la dette qu'elle a contractée et se trouve donc en bien mauvaise posture …
Une bd tous azimuts
Le dernier tome de cette saga entamée en 2012 paraît peu après l'artbook « Créatures » du dessinateur et nous rappelle ainsi l'origine de la série dans un superbe jeu d'échos.
En effet « Azimut » est né de l'envie qu'avait Wilfrid Lupano de donner à Andreae un scénario à la mesure de son univers graphique : parti des dessins de l'artiste, il a ainsi brodé et crée le monde d' « Azimut ». On y trouve donc pêle-mêle des créatures de rêve (Manie et sa mère la reine Ether), des personnages sortis du monde du cirque : le clown Augure et autres Freaks (le saugre Bâtis, les anthropotames, la femme obèse des amants éternels), des monstres cauchemardesques (l'arracheur de Temps, le baron Chagrin, son majordome) et des personnages cartoonesques (le cochon Picaillon, le lapin Polo). Les deux auteurs font preuve d'une imagination débridée et sans limite et nous entrainent dans leur monde parallèle….
Au-delà de l'inventivité des personnages et du scénario, il faut également souligner toute la maestria graphique d'Andreae : après la jungle et le désert, on est dans ce tome 5 dans des ambiances polaires avec des camaïeux de bleu de toute beauté. Il alterne scènes d'action et pages muettes ; monde féérique (avec des clins d'oeil à Miyazaki) et ultra réalisme (le tri des réfugiés). Drôle de cocktail bien déjanté qui aurait pu finalement ne pas fonctionner par trop grande hétérogénéité ! Or ce n'est nullement le cas, au fil de ces cinq tomes, Andreae et Lupano ont réussi à créer un univers finalement très cohérent dont le fil rouge est le temps : comment ne pas le perdre, comment littéralement courir après, comment le figer dans une oeuvre d'art, comment l'arrêter pour ne pas vieillir … et toutes les intrigues parallèles se petit rapprochent, se resserrent, et se complètent dans cet album conclusif.
Un album métaphysique et pataphysique
Dans la galerie des personnages, deux petits nouveaux et non des moindres font leur apparition : le préposé aux contentieux de la banque du temps et le bonze adepte du « zinzen ». Et on a donc deux dimensions de l'album qui sont ainsi mises en exergue : la dimension métaphysique avec la réflexion sur le temps, l'appât du gain et le jeunisme (ainsi qu'une critique de la finance !) dans une réactualisation du mythe de Faust mais également une dimension pataphysique que ne renieraient ni Vian ni Jarry lors que le maître oriental profère une sorte d'art poétique expliquant de façon ludique la démarche des deux auteurs : « la fantaisie, dans la philosophie zinzen, est la clé qui permet d'ouvrir les portes sans serrures » (p.24) et invoque le serpent anachronDADA se replaçant ainsi dans une tradition littéraire.
Dans la lignée des grands auteurs dadas, surréalistes et pataphysiciens, on retrouve également dans ce tome ce qui faisait le sel des précédents : de nombreux jeux sur le langage. Ainsi il est question de créatures « chronoptères (liées au temps) comme les « manchots ample-heure » ou « l'anachrondada » source des jeux de mots grâce à la paronomase. L'on assiste aussi à de savoureuses reprises au pied de la lettre d'expressions telles « mystère et boule de gomme », « nous sommes au creux de la vague » ou « truc mortel » qui acquièrent un lustre nouveau grâce à leur mise en contexte.
Fantasy, fantaisie et gravité : au-delà du miroir
Mais toute cette verve, cette fantaisie et ces mondes parallèles issus de la « fantasy »ne devraient pas occulter un aspect essentiel de l'oeuvre : si Lupano et Andreae se réclament depuis le début de Lewis Carroll et lui rendent hommage avec le lapin blanc Polo et le saugre tortue entre autres, si à son instar ils utilisent des mots-valises et refusent de donner toutes les solutions et toutes les réponses au questionnement du lecteur pour lui faire élaborer ses propres hypothèses , ils sont aussi dans la continuité de Jonathan Swift. « Azimut » se transforme en effet également parfois en un contre philosophique : ici il est question de l'aliénation volontaire de l'homme au dieu machine, de dérèglements climatiques, de la sénilité de certains hauts dirigeants, de la dénonciation de l'immigration choisie et de la façon dont on traite les migrants. A l'image d'Eugène dans l'album qui condamne le bellicisme intéressé de Manie dans son tableau et lui fait prendre conscience (ainsi qu'au grand Tracasseur) de la folie de son attitude, les deux auteurs se muent donc parfois en lanceurs d'alertes et permettent par le truchement de ce monde imaginaire de réfléchir sur notre réalité et notre monde contemporain. D'ailleurs c'est peut-être le seul reproche qu'on pourra faire à ce dernier tome : souligner les parallèles avec notre monde de façon parfois un peu trop appuyée et opter pour une fin étonnamment optimiste - tempérée tout de même par les dernières vignettes qui laissent leur lot d'ambiguïté.
Avec ces « derniers frimas de l'hiver », on a bien une oeuvre plurivoque : à la fois très aboutie sur le plan graphique, empruntant à différents genres et courants littéraires, et énigmatique. A peine le tome 5 refermé, on a l'envie de se replonger dans les autres albums pour y percevoir tous les détails et subtilités qui nous avaient échappé et rêver de nouveau!
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