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Critique de maevedefrance


Ma deuxième rencontre littéraire avec Paul Lynch, dont j'ai fait la connaissance avec son deuxième roman, le sublime La neige noire. Je me suis procuré Un ciel rouge, le matin dès sa sortie, mais, contrairement à La neige noire, je ne me suis pas jetée dessus tout de suite, et le problème c'est qu'ensuite on en a trop parlé ! Quand tout le monde parle trop d'un livre, en quelque sorte ça m'en dégoûte. Je sais, c'est un peu étrange, mais j'ai l'esprit de contradiction ! Heureusement, La neige noire et la rencontre organisée par le Centre culturel irlandais en septembre dernier m'ont permis de ne pas passer à côté de cet écrivain de génie.

Que dire donc, sur ce roman dont tout le monde a déjà parlé ? Il y a pourtant matière à moudre parce que Paul Lynch n'est pas un auteur de roman à la sauce Harlequin, mais un écrivain complexe, dense, mais surtout un fabuleux conteur !! Il prend à contrepied les postmodernistes, obsédés par leurs théories littéraires sur le roman au point d'en oublier le contenu. Pour Lynch, l'histoire est primordiale (pour faire court : ce n'est pas Joyce - ou plus proche de nous, Eimear McBride) .

Notre homme est journaliste à Dublin (du moins il l'était avant que la crise fasse fermer boutique au journal pour lequel il travaillait et qu'il se consacre entièrement à l'écriture de ses romans). C'est un fait divers américain mis à jour par des chercheurs qui lui a donné l'idée d'écrire Un ciel rouge, le matin : les corps de 57 ouvriers irlandais qui travaillaient à la construction du chemin de fer de Pennsylvanie en 1832 ont été exhumés d'une tranchée. A l'époque, l'affaire avait été étouffée. Ils venaient tous de la péninsule d'Inishowen, dans le Donegal. de quoi débrider l'imagination déjà féconde de Paul Lynch, originaire qui plus est de ce comté irlandais !

Coll Coyle (quel nom !) un jeune métayer et sa famille vont être expulsés de la terre qu'ils exploitent. Coyle décide d'aller parlementer avec le fils du propriétaire, mais le tue accidentellement sur un coup de folie. Un acte malheureux de quelques secondes, qui va ébranler la vie de Coll à tout jamais. Il lui faudra fuir pour sauver sa peau, mise à prix par Faller, le contremaître qui doit sa légende à sa cruauté : on dit qu'il a torturé un cheval en lui attachant la langue avec une corde et tiré jusqu'à ce qu'il l'arrache à la racine... C'est une cavalcade au trip galop qui va mener le lecteur du far west irlandais qu'est le Donegal à la conquête de l'ouest américain.

Un roman très visuel, quasi cinématographique, où la nature occupe une place majeure, où chaque geste, chaque pas, chaque bruit, chaque silence, chaque animal, chaque lumière, chaque ombre, est décrit avec une précision presque obsessionnelle.
L'incipit donne le ton : "D'abord il n'y a que du noir dans le ciel, et ensuite vient le sang, la brèche de lumière matinale à l'extrémité du monde. Cette rougeur qui se répand fait pâlir la clarté des étoiles, les collines émergent de l'ombre et les nuages prennent consistance. La première averse de la journée descend d'un ciel taciturne et tire une mélodie de la terre. Les arbres se dépouillent de leur vêture d'obscurité, ils s'étirent, leurs doigts feuillus frémissant sous le vent, des flèches de lumière se propagent ici et là, cramoisies puis dorées. La pluie s'arrête, il entend les oiseaux s'éveiller. Ils clignent des yeux en secouant la tête, éparpillent leurs chants à travers le ciel. La vieille terre frissonnante se tourne lentement vers le soleil levant." Comment ne pas être subjugué par tant de poésie ? Moi je fonds ! Il y a du Proust chez Lynch !
"Coyle est assis, il écoute le matin. La rumeur sourde du vent, le bruit qui s'échappe du mur de pierre, plein d'une rage farouche et bourdonnante. Il cherche d'où vient le son, penché sur le mur, et découvre un creux obturé par le tissage d'une araignée, ses fils humides de rosée que la lumière argente. Une mouche s'y débat, empêtrée dans la toile piégeuse."

La poésie est dans chaque page. Pourtant cette histoire est d'une violence et d'une noirceur inouïes. C'est bien le paradoxe de la prose de Paul Lynch. Ecrire un drame (parce que l'histoire est tout sauf quelque chose de rose, gai et réjouissant) avec tant de poésie et de lyrisme. On se laisse embobiner et on ne décroche plus jusqu'au dernier mot. On souffre avec les ouvriers du rail que rejoint Coll, menés d'une main de fer par un Irlandais qui leur promet le Paradis mais c'est juste l'Enfer :
"Le soir, ils redescendaient au campement, laissant derrière eux la blessure béante de la terre creusée, ils arrivent affamés et le corps perclus de douleurs, mangent près du feu dans des gamelles en fer-blanc et s'abreuvent de whisky."
Très souvent la prose s'emballe : ça tire, ça flingue, les cadavres sanglants s'amoncellent. Il y a d'ailleurs beaucoup de sang versé, beaucoup plus que dans La neige noire, et un peu trop pour moi. Parfois on ne sait plus trop qui fait quoi quand ça se bagarre, je m'y suis parfois perdue, mais finalement peu importe.

Paul Lynch n'est pas un joyeux luron quand il écrit ses romans, ça c'est clair ! :) Mais quelle plume et quelle histoire ! Un petit bout de l'Histoire des Etats-Unis aussi avec la conquête de l'Ouest, la construction du chemin de fer par épidémie de choléra qui décimera la population. Il y a plein de "méchants" tout moches et tout.

Avec Paul Lynch dark is dark mais c'est très beau ! Un bel hommage aux victimes du mystérieux assassinat de 1832. A lire absolument !
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