Et j'ai plissé les yeux pour cesser de voir toute la périphérie : la saleté, la maladie, les hommes privés d'art, de mathématiques et de musique civilisée, assis le soir autour du feu, marmonnant dans leur langue si laide, mangeant leur nourriture infâme, ruminant leurs idées d'animaux à jambes courtes : manger, baiser et chier. Des gens sales, serviles, barbares. Je raconte tout cela au prince, lui enseigne ce que je sais vrai sur cette terre qu'il idéalise tellement.
«Vous savez ce que je ferais, moi ?» Il s'es redressé sur un coude. «Je m'assoirais devant leurs feux, j'écouterais leur musique, je mangerais leur nourriture et je porterais leurs habits. J'irais avec leurs femmes.»
J'entends rougir sa voix, bien que je ne distingue pas son visage. «Aller avec» : quel charmant euphémisme dans la bouche d'un vigoureux garçon de Macédoine. Il aime Héphaïstion.
Tu confonds plaisir et bonheur, le vrai bonheur qui dure. Quelques frissons, quelques émotions. Ta première femme, ton premier éléphant, ton premier plat épicé, ta première gueule de bois, ta première ascension d’une montagne que personne n’a jamais conquise, et ta première vue depuis le sommet, sur l’autre versant. Tu veux assembler, comme les perles d’un collier, une vie de plaisirs éphémères.
(p. 312)
"Tu es déjà bien avancé sur le chemin qui mène à ce que je suis . Je pensais simplement que cela t'ennuyait."
Et à ma grande honte, c'était vrai .
J'avais trouvé une prostituée de mon âge, à peu près quinze ans à l'époque, dont le visage s'était ouvert quand je l'avais approchée, puis refermé quand j'avais expliqué la situation. Elle m'avait dit que la pièce n'était pas suffisante. j'avais fait volte-face pour m'en aller.
"Pas suffisante pour ce vieux sac de sang, je veux dire. Pour toi, ça suffira.
Et qu'est-ce qui distingue l'homme des animaux?
- La raison. Le travail. La vie de l'esprit.
-Tu sors encore ce soir?
Nous perdons notre temps, ensemble. Tu voudrais rejoindre l’armée, et j’aimerais rejoindre Athènes pour y écrire des livres. Hélas, nous en sommes réduits l’un et l’autre à nous tenir compagnie. Pourquoi ne pas tirer le meilleur parti d’une situation déplaisante, et terminer au plus vite cette leçon, afin
de pouvoir retourner à nos quêtes respectives ?