L'histoire, elle est racontée à la première personne par
Aristote lui-même et s'attache principalement aux sept années qu'il a passées à la cour de Macédoine à transmettre son savoir à Alexandre, l'héritier de Philippe II de Macédoine. Pourtant, Alexandre n'est pas le fils aîné du roi, mais une maladie a rendu idiot son demi-frère, Philippe Arrhidée, qui vit, livré à lui-même et à la surveillance de son garde-malade, complètement exclu de la succession car lui manquent les qualités essentielles pour s'asseoir sur le trône de Macédoine : des talents guerriers et la capacité de tenir à cheval.
J'ai d'ailleurs trouvé passionnants les passages avec Arrhidée, l'approche choisie par
Aristote pour apprivoiser à la fois cet élève mentalement retardé, ainsi que son garde-malade, le faire progresser malgré son handicap et les préjugés des autres.
Nous assistons également aux leçons données à Alexandre, leçons variées touchant aussi bien à la biologie qu'à
la métaphysique ou à la littérature. Car
Aristote est un touche-à-tout brillant, qui passe son temps à observer tout ce qui l'entoure et à analyser chaque situation. Pourtant, il a bien du mal à discipliner la fougue de cet élève intelligent mais un brin arrogant, dont le goût pour le morbide est parfois inquiétant. Leurs dialogues laissent deviner le destin de ce futur conquérant qui a une vision bien précise sur la position que l'on doit adopter envers les peuples vaincus, sur son désir de syncrétisme; les dispositions intellectuelles et morales qui se dessinent chez Alexandre donnent un aperçu sur l'adulte ambivalent qu'il sera.
Aristote tente de surcroît de tempérer ses aspirations à la gloire en lui parlant du "juste milieu", le point d'équilibre. "Ce point, lui explique le philosophe, différera d'un homme à l'autre. Il n'existe pas de norme universelle de la vertu qui s'appliquerait à toutes les situations, tout le temps. le contexte doit être pris en compte, la spécificité, ce qui est le mieux à tel endroit, à tel moment". (page 275-276)
Mais le livre ne fait pas qu'aborder l'enseignement dispensé aux deux princes. Il traite également de la complexité des rapports entre les hommes, selon leur statut social, selon leur sexe.
Tout d'abord, les relations maître/esclaves. Même si le maître éprouve un certain attachement vis-à-vis- de ses esclaves, qui font partie selon
Aristote de la famille, la menace pèse toujours sur eux d'être revendu à un marchand d'esclaves, le philosophe n'hésitant d'ailleurs pas à se défaire de l'esclave favorite de sa femme qui s'est montrée trop insolente.
Concernant, les relations maître/élève, celles-ci se révèlent ambigües.
Aristote méprise le précepteur que son père lui a donné adolescent, mais on ressent également chez lui une certaine fascination. de plus, une trop grande complicité peut amener un rapprochement moins innocent. Ainsi, Lysimaque crève de jalousie sur le fait supposé qu'
Aristote et Alexandre puissent être amants : "Je le baiserais volontiers. Il sent tellement bon... Vous l'avez fait, déjà ? "(page 224) le provoque-t-il pour en savoir davantage sur la nature réelle des liens qui unissent
Aristote à Alexandre. Tout comme dans le flashback nous transportant à Athènes au temps de ses études à l'Académie où ses camarades jalousent
Aristote et l'attirance (intellectuelle ? amoureuse ?) que
Platon semble éprouver à son égard.
Les rapports entre époux sont également ambivalents, oscillant entre devoir et tendresse. Bien difficile de démêler lequel prime sur l'autre...
Pour ce qui sont des rapports princes/serviteurs, malgré le respect qui peuvent les définir, l'amitié véritable est impossible, car l'égalité entre eux n'existe pas.
D'une manière générale, l'auteure sait distiller à merveille des détails réalistes sur le quotidien de ces Grecs de l'Antiquité, avec en arrière-plan les relations tendues, conflictuelles entre Philippe de Macédoine et les cités de la Grèce, nous immergeant complètement dans cette époque lointaine.
Par contre, quelques points négatifs ressortent de ma lecture.
Tout d'abord, le style d'écriture m'a un peu déroutée au début. C'est écrit à la 1ère personne du singulier et au présent de l'indicatif, dans un registre parfois familier (même si je sais à travers les pièces d'
Aristophane que les Grecs pouvaient parler vulgairement ! ^^).
De plus, j'ai été un peu perdue par les dialogues où les interlocuteurs sont parfois difficilement identifiables, si bien que j'étais obligée de relire certains passages pour comprendre qui parlait !
Malgré ces toutes petites réserves, j'ai été enchantée par ma lecture qui a passé à une vitesse folle. Paradoxalement, j'y suis restée comme extérieure : cela tient sûrement à la personnalité même du personnage central,
Aristote, qui paraît assez froid, obsédé par sa manie de tout observer, tout disséquer : cela donne lieu d'ailleurs à des scènes décalées, car le philosophe s'adonne à son goût de l'analyse pendant même qu'il fait l'amour avec sa femme !
Bref, un livre passionnant, où les leçons données par
Aristote ne sont pas du tout rébarbatives mais au contraire vivantes et captivantes.
Je le relirai avec beaucoup de plaisir...
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http://parthenia01.eklablog...