Citations sur Champs de Castille (précédé de) Solitudes, Galeries et au.. (51)
Sous le laurier …
Sous le laurier le banc de pierre rouillée
est tout humide;
la pluie, sur le mur blanc
a lavé le lierre poussiéreux.
Au souffle tiède du vent d’automne
ondoie le gazon, et les peupliers
conversent avec le vent…
Le vent du soir dans le bosquet !
Tandis que flamboie au couchant le soleil
qui dore les grappes de vigne
et qu’un brave bourgeois sur son balcon allume
sa pipe stoïque où fume le tabac,
je me souviens des vers de ma jeunesse…
Qu’est-il advenu de mon cœur sonore ?
Ombres charmantes, est-il donc vrai
que vous fuyiez entre les arbres d’or ?
Et tu pourras te connaître …
Et tu pourras te connaître, en te rappelant
les images troubles des rêves passés,
en ce jour triste où tu chemines,
les yeux ouverts.
De toute la mémoire, rien ne vaut
que le don merveilleux d’évoquer les rêves.
Âme …
Âme, qui voulus en vain être plus jeune chaque jour,
arrache ta fleur, l’humble fleur de la mélancolie !
La place et les orangers flamboyants…
La place et les orangers flamboyants
avec leurs fruits ronds et rieurs.
Tumulte de petits collégiens
qui sortent de l’école, en désordre,
emplissant l’air de la place ombragée
du tintamarre de leurs voix neuves.
Allégresse enfantine dans les recoins
des villes mortes!…
Et une part de nous, d’hier,
que nous voyons errer encore
dans ces vieilles rues !
Le crime
On le vit, avançant au milieu des fusils,
par une longue rue,
sortir dans la campagne froide,
sous les étoiles, au point du jour.
Ils ont tué Federico
quand la lumière apparaissait.
Le peloton de ses bourreaux
n’osa le regarder en face.
Ils avaient tous fermé les yeux,
Ils prient: Dieu même n’y peut rien !
Et mort tomba Federico
Du sang sur le front, du plomb dans les entrailles.
Apprenez que le crime a eu lieu à Grenade
- pauvre Grenade – sa Grenade…
Tout passe et tout demeure mais notre affaire est de passer en traçant des chemins sur la mer.
Déchiffrements d’une harmonie
que tente une main maladroite.
Vague à l’âme. Cacophonie
du sempiternel piano
que j’écoutais, enfant,
en rêvant… de je ne sais quoi,
d’une chose qui ne venait pas,
de tout ce qui déjà s’en est allé.
(p.105)
À UN ORME DESSÉCHÉ
Extrait 1
Sur le vieil orme, fendu par la foudre,
pourri en son milieu,
avec les pluies d'avril et le soleil de mai,
ont poussé quelques feuilles vertes.
L'orme centenaire sur la colline
que baigne le Douro ! Une mousse jaunâtre
salit l'écorce blanchâtre
du tronc vermoulu et poussiéreux.
Il ne doit pas comme les peupliers chantant
qui gardent le chemin et le rivage
être habité de rossignols gris.
Une armée de fourmis en file
grimpe sur lui ; dans ses entrailles,
les araignées tissent leurs toiles grises.
…
Soria, 1012
/traduit de l'espagnol par Sylvie Léger et Bernard Sesé
LE CRIME A EU LIEU À GRENADE
À Federico García Lorca
I
LE CRIME
On le vit, avançant au milieu des fusils.,
par une longue rue,
sortir dans la campagne froide,
sous les étoiles, au point du jour.
Ils ont tué Federico
quand la lumière apparaissait.
Le peloton de ses bourreaux
n'osa le regarder en face.
Ils avaient tous fermé les yeux,
ils prient : Dieu même n'y peut rien !
Et mort tomba Federico
— du sang au front, du plomb dans les entrailles —
… Apprenez que le crime a eu lieu à Grenade
— pauvre Grenade ! —, sa Grenade…
Moi, comme Anacréon…
Moi, comme Anacréon,
je veux chanter, rire et jeter au vent
l’amère sagesse
et les graves conseils.
Et je veux surtout m’enivrer
vous le savez bien… Grotesque!
Pure foi en la mort, pauvre allégresse,
danse macabre avant le temps.