A sa sortie, voici quelques mois, ce livre avait été présenté comme un brûlot, une attaque en règle du monde de la mode. Beaucoup prédisaient que cela porterait un coup, sinon fatal, du moins sévère à ce monde factice de paillettes et de sacs d'os défilant sur des podiums chancelant et chaussés de talons de 18 cm... pour le plus grand bonheur des bêtisiers de fin d'année...
J'étais assez curieux. Au final, c'est un sacré coup de pub pour la jeune fille au centre du livre, mais certainement rien de mémorable, ni de très problématique pour le monde de la mode.
Nous sommes à l'été 2010, Victoire est repérée par un type qui chasse pour Elite. OK, Seb, c'est le "vrai méchant" de l'histoire... sauf qu'il suffisait de l'envoyer paître pour ne jamais vivre tout cela. Seb, ce chasseur de tête, il est fin psychologue. Il repère une mère, mince, et une fille du même acabit, faisant du shopping et salivant devant des boutiques de luxe. Les deux dames arborent ce luxe dans leur tenue et dans leurs manières. Proies rêvées pour un chasseur qui se respecte. Et Seb, il n'en est pas à ses débuts.
Le reste s'enchaîne tout à fait logiquement. La tyrannie des kilos de trop, les fringales, les syncopes, les haines entre mannequins... et l'anorexie qui pointe son nez.
Comme je l'ai dit, ce livre est un journal, un récit chronologique, ce n'est pas une charge, pas une attaque. C'est pourquoi l'auteure place des extraits de son book et de ses défilés au centre. Elle est fière de sa maigreur, elle le dit. Comme pour beaucoup d'anorexique, la maigreur est le résultat du pouvoir de l'esprit sur le corps, le triomphe de la volonté sur la nature. il aurait fallu un rien pour qu'elle accepte tout. Chose touchante, cependant, et qui plaide en sa faveur, Victoire est sensible aux relations humaines, au contact, à l'amitié. Mais elle reste énormément nombriliste et narcissique (preuve que Seb a le nez fin, Victoire est une recrue de premier plan).
Ma question à ce stade est "comment peut-on en 2010 ignorer tout cela?", "comment peut-on être une cruche de cette trempe-là"... idem pour la famille, qui encourage (plus ou moins et plutôt plus que moins)... la réponse est que Victoire se croit différente (elle l'est, vu que toute personne est unique) et qu'elle, elle ne tombera pas dans la mode est ses pièges. Une des clés est là, il y en a d'autres.
L'adrénaline suscitée par les défilés et les shootings réussis... une forme de narcissisme... "on me voit, on m'adore, on m'adule"... reflet d'une société où on est quelqu'un par la jalousie que l'on suscite, par ce que l'on possède plutôt que par ce que l'on est... être ou avoir... la question est toujours là.
Victoire jubile, elle se voit LE top... Et ce livre ne dénonce rien. Les lecteurs et lectrices vont y trouver le reflet de ce qu'ils ou elles pensent de la mode. Si nous accordions moins de poids à la mode, aux nouvelles collections, si nous nous souciions davantage de l'autre que de son nombril... il y aurait moins de jeunes filles prêtes à se sacrifier sur l'autel de la mode avec
Karl Lagerfeld ou Miuccia Prada en prêtre ou prêtresse brandissant éventail ou lunettes pour décider de la vie des gens...
Je n'ai aucune compassion, aucune pitié, aucune sympathie (que du contraire, même !) pour Victoire et ses coreligionnaires. Elle a voulu ce qu'elle a eu, et elle a eu ce qu'elle a voulu. Essayer d'en tirer un livre, mal écrit de surcroît, est le point final adéquat.
Je conclurai avec un pied-de-nez... nous venons de nous extasier sur les athlètes aux Jeux olympiques. Sur des gamines de 16 ans qui, à force de privations et d'exercices, se contorsionnent, qui sont vieilles à 20 ans, et dont la colonne vertébrale ne se remettra jamais des sévices encourus. Top model et gymnaste, ou athlète, même combat.