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Critique de inbookswetrustblog


Tout commence par des recherches de l'auteur sur son ancêtre, Donald "Tramp" (ouf, à une lettre près !) Macrae, né en 1890 à Applecross, en Ecosse. Il tombe sur des articles de journaux relatant le procès d'un de ses ancêtres, Roderick Macrae. Il a retrouvé son mémoire qu'il a rédigé en prison entre le 17 août et le 5 septembre 1869, alors qu'il attendait son procès. Roderick Macrae, "petit paysan de dix-sept ans inculpé d'un triple homicide sauvage commis dans son village natal de Culduie, dans le Ross-Shire, au matin du 10 août 1869." Dans la préface du livre, l'auteur nous présente l'ouvrage. Ce dernier est constitué du récit de Roderick Macrae, de dépositions, d'un glossaire, de rapports médicaux, d'un extrait d'un mémoire sur la folie des criminels et du procès, avec des extraits d'articles de journaux. 

Mais voilà, on est en droit de se demander si tout le récit et tous les documents sont réels ou fictifs. L'auteur écossais avoue avoir mêlé réel et fiction, recherches et imaginaire. le résultat est vraiment déroutant pour le lecteur. Entre le récit de Roderick Macrae et certains documents, il existe des contradictions, des oublis étranges de la part du jeune homme. Par conséquence, on doute. On doute du début à la fin. L'auteur l'explique à la fin de sa préface :

"Il n'est pas possible, presque un siècle et demi plus tard, de connaître la vérité sur les événements relatés dans ce livre. Les récits présentés ici comportent plusieurs divergences, contradictions et omissions, mais, mis bout à bout, ils forment la trame d'une des affaires les plus fascinantes de l'histoire judiciaire écossaise. Naturellement, j'ai fini par me forger une opinion personnelle, mais je préfère laisser le lecteur tirer ses propres conclusions." (page 15)


Peu importent le côté fiction et les passages réels rapportés, le livre de Graeme Macrae est fascinant de par ses thèmes sur la violence quotidienne, l'abus de pouvoir, la vie paysanne, le système judiciaire de l'époque, l'envie d'ailleurs et la folie meurtrière. Ce n'est pas qu'une simple enquête à mener. C'est l'histoire d'une famille qui sombre lentement, qui s'enlise dans la solitude et la noirceur, puis qui explose. Les crimes atroces du fils, Roderick Macrae, résultent de ce climat violent qui règne sur cette famille pendant 18 mois. C'est une intrigue pas si simple que cela en a l'air. Une question nous taraude : comment un jeune homme a été capable de perpétrer un tel massacre ? Etait-il conscient de ses actes ou empreint d'une folie meurtrière ?

Le récit de Roderick Macrae nous présente une famille endeuillée, pauvre et profondément triste. Una, la mère de Roderick, est morte en couches un an et demi auparavant. John, le père, servant catholique, est un paysan très violent qui n'hésite pas à lever la main sur ses enfants. le vide que sa femme a laissé a véritablement fait sombrer cette famille.
Roderick est un jeune homme très solitaire qui adore se promener la nuit. Il fait des promenades nocturnes car chez lui, il semble percevoir "des silhouettes se dresser dans la fumée". Puis, il nourrit d'obscures pensées depuis l'enterrement de sa mère :


"Quant à moi, j'étais tout à fait certain que ce n'était pas en raison de péchés de mon père que notre mère nous avait été enlevée, mais des miens. Je méditai le sermon de M. Galbraith et résolus à cet instant, avec la terre grise sous mes pas, que lorsque l'occasion se présenterait, je deviendrais le rédempteur de mon père et le délivrerais de l'état misérable dans lequel mes péchés
l'auraient réduit." (page 41)


Quant à Jetta, la soeur aînée, elle est réduite à remplacer sa mère, contrainte même de dormir avec son propre père...


"La jeune fille charmante et joyeuse fut remplacée par un personnage soucieux et maussade, aux épaules voûtées, et, sur insistance de mon père, vêtu de noir telle une veuve." (page 42)


La mort d'Una, qui incarnait la joie de vivre, a plongé la famille dans un sombre et violent climat. Une descente aux enfers.


"Au fil des jours, aucun d'entre nous ne voulut être le premier à égayer l'atmosphère par quelque espièglerie ou ritournelle, et plus le temps passa, plus nous nous figeâmes dans nos sombres façons." (page 42)


Bientôt, la famille est prise en grippe par le constable du village, Lachlan Mackenzie, qui représente l'autorité. Ensevelie sous les dettes et les amendes, la famille Macrae perd une partie de son terrain et s'isole du reste des villageois. Roderick est persuadé que son père est victime d'acharnement de la part du constable qui est également leur voisin, surnommé Lachlan le Large. L'auteur nous fait ainsi découvrir le système de classe écossais de la fin du XIXe siècle, où chacun reste à sa place sous peine d'exclusion. La violence ne vient pas en effet que de la famille, mais aussi du constable, qui semble agir en véritable despote, d'après le récit de Roderick. Là encore, le lecteur doute : le jeune homme se contredit à plusieurs reprises. A-t-il menti ou a-t-il oublié d'indiquer certaines choses ? 

Autre thème intéressant et déterminant, celui de l'emprise des origines. A maintes reprises, l'instituteur de Roderick insiste auprès de son père afin qu'il suive des études. Il a des capacités. Il peut devenir enseignant par exemple. Mais le père s'obstine à refuser, et Roderick est d'ailleurs de son avis : il doit aider son père à la ferme. Et pourtant, plusieurs fois il souhaite partir de chez lui et fuir cette vie sans avenir. 


"(...) Culduie n'avait rien à offrir aux gens comme nous. Alors pourquoi rester ?" (page 160).


Un jour, il décide même de partir seul sans prévenir personne. Mais ce voyage est impossible pour lui. "Tel un chien attaché à sa longe, j'avais atteint les limites de mon territoire." (page 166). L'emprise de sa famille sur lui est telle qu'il semble prisonnier de ses origines paysannes.

Les rapports médicaux et le procès nous apprennent beaucoup sur le comportement de Roderick, sur certaines choses qu'il n'a pas écrites dans son récit. Beaucoup de notions sur la folie des criminels nous sont rapportées. Elles sont très accessibles au lecteur et on comprend peu à peu les véritables raisons du triple homicide, sans pourtant en être certains... Les documents rassemblés en parallèle du récit de Roderick nous donnent beaucoup d'informations sur son "projet" de meurtre. Nous avons d'autres points de vue, de médecins, de journalistes, qui rendent le livre véritablement riche et fascinant.

Enfin, j'ai beaucoup aimé ce livre, qui comporte plein de symboles. Un animal revient notamment assez souvent dans le récit de Roderick : le corbeau. Cet oiseau, comme vous le savez, est symbole de malheur, de mort et selon Edgar Alan Poe, il incarne même un démon. Sans aller jusque-là, on est surpris de constater que Roderick joue avec les corbeaux, soigne même l'un d'entre eux. Cette familiarité accentue le caractère étrange du personnage. A croire que les corbeaux annonçaient déjà un destin funeste pour toute cette famille.

En bref, L'Accusé du Ross-Shire est un thriller atypique, inclassable. Il mêle réalité, Histoire et fiction. Les documents du livre (dépositions, rapports médicaux, procès, etc.) apportent une autre vision, un autre angle à l'intrigue. Roderick Macrae est un jeune paysan de 17 ans accusé d'avoir tué sauvagement trois de ses voisins. Il n'a jamais nié les meurtres. Mais ses mobiles restent flous. Comment et pourquoi les a-t-il massacrés ? Est-ce à cause de la violence quotidienne qu'il subissait ? Est-ce à cause de l'acharnement dont était victime sa famille ? Ou est-il simplement fou ? A nous de nous faire notre propre opinion. L'auteur réussit à nous captiver, à nous impliquer dans l'enquête, à nous faire réfléchir sur la folie meurtrière et à nous apprendre beaucoup sur les moeurs et la psychiatrie de l'époque. Ce livre déroutant, passionnant et original vous fera passer assurément un très bon moment de lecture !
Lien : http://lesmotsdejunko.blogsp..
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