Non, c'est certain, dit la mère, mais que veux-tu, les individus sont comme ça. Dans ce cas je ne veux plus être un individu, dit la fille.
Ils demeurèrent le reste de la soirée et toute la nuit dans le grand salon, devant l'âtre vide, froid, sombre. Il ne fallu guère de temps au cadet puis à l'aîné des deux petits frères pour s'endormir et poser leur tête sur chacune des cuisses de la mère. Lorsque la fille demanda à une unique occasion la permission d'aller aux toilettes, le beau-père introduisit la clé dans la serrure et déverrouilla la porte, non sans indiquer à la mère que si elle aussi voulait y aller c'était maintenant, mais celle-ci secouant la tête pour seule réponse, il reverrouilla la porte et suivit sa belle-fille jusqu'à la plus proche des seize salles de bains munies de toilettes où il fit le planton devant la porte, d'ailleurs davantage avec l'allure d'un factionnaire armé ou du portier d'une discothèque post-soviétique, et, lorsqu'elle en ressortit il la laissa le précéder jusqu'au grand salon dont à nouveau il déverrouilla et reverrouilla la porte pour ensuite glisser la clé dans sa poche.
Dans vingt ou peut-être trente ans ils seront toujours là, disséminés de par le monde, tels des vestiges, des traces de vie, de cette sorte que l’on peut dérouler dans une simple phrase froissée mais qui en vérité peut mettre plusieurs décennies à s’achever.
[…] elle ne pardonnait rien à personne, la douleur et le chagrin étaient dissimulés au creux d’un ici et maintenant qui chez elle durait bien plus qu’un instant et se déversait dans un monde illimité par lequel elle se laissait engloutir, avec lequel elle fusionnait, qu’elle habitait entièrement […].
[…] et que cette flemmardise chez lui est fatale car elle est en vérité l’indolence même : il n’a envie de rien, rien de rien, même la vie, ça lui pèse.