Je crois que je ne saurai jamais s’ils m’ont raconté toute la vérité ce jour-là mais, a dix-sept ans et en l’espace de quelques jours, j’ai compris que les drames se jouent dans les non-dits, dans les phrases qu’on hésite à prononcer de peur de blesser celui à qui on se confie, avant de se rétracter pour toujours.
L’histoire de ma famille, depuis toujours, alors que je la rêve en vingt-quatre images par seconde, me semble aussi fascinante et aussi douloureuse qu’un beau film en noir et blanc projeté sur l’écran du Rialto quand s’écartent ses imposants rideaux de velours rouges.
On fantasme les retours de guerre comme des jours heureux. On s’imagine qu’ils seront la promesse que le danger n’existe plus et que la quiétude a envahi pour toujours nos vies. Mais ces jours ont surtout été de longs hivers de secrets enfouis.
Ma famille est comme marquée du sceau d’une malédiction. J’ai très peu connu mon père, et lui-même n’a jamais connu ses parents. Je viens d’une famille où les liens du sang et du passé disparaissent sans laisser de traces.
Les hommes sont inconséquents, et encore plus à vingt ans, ma chérie. Il n'y a que l'âge et la peur de se retrouver seuls qui les rendent plus attentifs à la chance qu'ils ont d'avoir une femme à leurs côtés…
J'en étais arrivé à ne plus penser à la mort, je me disais que j'allais m'en sortir pour trimer dur, me tuer à la tâche pour les miens, que c'était bien plus utile que de finir en chair à saucisse dans une flaque à Verdun.
A la fin du conflit, nous touchions presque le même salaire que les hommes pour accomplir les même tâches. Pour certaines, comme moi d'ailleurs, les lendemains de la guerre ont été abominables en partie pour cela… Nous étions du jour au lendemain redevenues des femmes au foyer. Nos hommes, les valides, s'étaient empressés de travailler, à recouvrer la vie d'avant, s'étaient attacher à nous gâter pour - eux non plus ne l'avoueraient sans doute jamais - retrouver cette place que nous leur avions prise.
Ils ont tous été si braves et fiers qu’la mort est venue leur dire « chiche ».
Comme un hommage à l’heure de la naissance de mon père et au moment où mes grands-parents se sont rencontrés, c’est à nouveau à la faveur de la première lueur du matin que les mystères se dénouent.
Le jour t’invite à garder la raison, la nuit tnautorises à la perdre…