Citations sur La Rose en ses remous (18)
Les femmes, invisibles le jour, sortent le
soir du village pour aller à la fontaine.
Khartoum.
Les femmes de noir voilées
couronnées de cruches grises
reines veuves exilées
allument le ciel cendré
du clair regard des captives
délivrées par les eaux vives
qu'elles savent capturer
et très lentement hâtives
descendent vers la vallée
comme avance la marée
vers une terre promise.
p.30
Si je n'étais qu'un jeu de mots
que l'on assemble en dominos
je me tairais
Si je n'étais qu'un feu de paille
rien que des flammes sans entrailles
je me tairais
Si je n'étais que des sanglots
un peu d'écume sur de l'eau
je me tairais
Si je n'étais que des pensées
beaucoup de poids sur la rosée
je me tairais
Mais si je suis le mot, la flamme
la cendre, le sanglot et l'âme
je parlerai.
p.8
Craindre ce qu'on aime
aimer ce qu'on craint
est-ce ainsi que germe
le grain ?
Vouloir le silence
taire ce qu'on veut
est-ce l'éloquence
des cieux ?
Refuser les rives
s'épuiser au puits
est-ce pour que vive
la nuit ?
Vivre les désirs
captifs de la fuite
n'est-ce pas mourir
plus vite ?
p.17
À vivre depuis si longtemps avec ma mort
j'en ai fait un passé qui calme l'avenir
je la vois dans mon ombre, elle y tremble, elle y dort
elle aime à l'embellir, jamais elle n'en sort
je me dis : « Si je meurs, je la ferai mourir. »
p.37
Et nos nuits passeront la promesse des nuits
et nos rêves iront plus profond que les rêves
et nos fruits mûriront plus doré que les fruits
et nos sèves jailliront plus haut que les sèves
et les nuits s'ouvriront sur des veilles sans nuit
et les rêves irrigueront les jours sans rêve
et les fruits éclaireront les ombres sans fruit
et les sèves sauront fructifier sans sève
et les mots interdits refleurirons nos lèvres
malgré les nuits sans rêve
et les sèves sans fruit.
p.36
L'oiseau n'avait pas vu la vitre
il volait en flèche si vite
qu'il mourut sur la transparence
Sois papillon, la nonchalance
te fera caresser de l'aile
la douceur des vitres mortelles
Je serai l'oiseau qui se tue
le verre en se brisant réveille
les dormeurs des maisons têtues
où s'empoussièrent les merveilles.
p.34
Une caresse à l'affût d'elle-même ?
autant dans le sillon jeter la graine
qui s'abandonne aux lèvres des labours
en refusant le corps entier du jour
Une caresse reçue où s'oublie
la main donnante ? fleur ensevelie
avant d'avoir flairé l'odeur du ciel
dans les sables sans eau blanchis de sel
Une caresse qui n'est que caresse
à fleur de chair, à fond de silence, est-ce
la peine, ou le plaisir
de la saisir ?
p.32
Mourrons-nous vivants inachevés
avec un bec ouvert d'oiseau jamais gavé
ou mourrons-nous avant de mourir
bouche déjà murée aux possibles désirs ?
Ah, savoir finir à l'heure juste
quand ni trop ni trop peu de convoitise habite
ce visage, ces mains et ce buste
épuisés juste assez de fuites et poursuites
apprendre à déloger juste à l'heure
fermer doucement la porte de la demeure
dans l'autre temps plonger, ou s'incruste
si bien le juste poids d'un vivant trop injuste.
p.31
Après les déluges qui tonnent
sur l'étang lisse un peu de pluie
juste assez pour que l'eau frissonne
me dit une amante endormie
dont la chair doucement résonne
des fureurs en elles assouvies.
p.27
Le tour du monde au-dessus des nuages
vaut-il un seul pas
que cerne, obscurcit, capture un ciel bas ?
O trop facile clarté des voyages
dans le bleu sans fond
Terre, ton visage
ce sont brouillards et neiges qui te font.
p.26