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Critique de Bobby_The_Rasta_Lama


"Je portais une balle de révolver dans la poche. Quelqu'un m'a lancé une Bible. La balle m'a sauvé la vie !"
(Woody Allen)

Rien à voir avec le livre de Jean-Patrick Manchette, mais on va parler de cinéma, et je me dis que dans un film, cette scène pourrait avoir beaucoup de charme !
Les chroniques de cinéma de Manchette sont parues dans Charlie Hebdo à peu près au moment où le magnétoscope commençait à être considéré par les cinéphiles comme une formidable innovation technologique. Je ne me souviens même pas où a fini le mien... Et il n'y a pas si longtemps que son successeur, le lecteur de DVD, a décidé que son temps est pareillement révolu, en refusant obstinément de continuer à lire quoi que ce soit. Paix à son âme ! le coeur lourd, j'ai mis aussi dans un carton tous mes films B, collectionnés avec passion des années durant. L'indescriptible "Funny Man" (avec C. Lee !), pas mal de Draculas (en commençant par celui de Murnau qui ne s'appelle même pas Dracula mais Orlock, à l'ancienne manière allemande), "L'autre enfer" (possession diabolique au couvent !!), "La furie des vampires" germano-espagole (le comte Valdemar est à la fois un vampire et un loup-garou, ce qui vous fait deux monstres pour le prix d'un !), quelques Coscarelli, Argento et Tobe Hooper... J'ai versé une larme sur un truc au titre très prometteur d'"Asphyx", que je n'ai même jamais vu. Mais doit-on vraiment regretter, puisque de nos jours on peut facilement trouver un tas de merveilles similaires sur internet, comme par exemple ce chef d'oeuvre russe nommé "Chelovek-Amfibiya" ? Difficile à dire...

En tout cas, Manchette serait d'accord sur le fait que la télé ne remplacera jamais le grand écran et un confortable fauteuil rouge dans une salle obscure. Pendant les deux ans qu'il écrivait ses chroniques (1979 - 1981), il y avait passé du temps, et même s'il est absolument impossible de connaître ou de retenir tous les films dont il parle, cette intégrale restitue très bien l'esprit du cinéma en France à la fin des années 70.
Parfois on a l'impression qu'il a passé la séance à dormir, pour expédier ensuite le film en question par deux phrases assassines, et pour certains films c'est bien le cas. Mais plus on avance dans ses chroniques, plus on réalise que derrière sa plume souvent trempée dans du vitriol, son cynisme débonnaire et son je-m'en-foutisme apparent, il y a une véritable culture cinématographique. Une culture assez rare, même ! Et l'ensemble fait une bien divertissante lecture pour occuper ces soirées où il n'y a rien à la télé.

L'époque de ces chroniques est une époque de survivants de la nouvelle vaque : Chabrol, Truffaut, Rohmer, Godard (qu'il n'aime vraiment pas !), Varda, Pialat... que des grands noms qu'on ne voit plus que dans "Le cinéma de minuit". Comme disait Coluche, "le cinéma français vit de ses comédies, et récompense ses drames". Manchette a toujours un petit mot gentil pour chacun, parfois même une analyse plus poussée, qui l'oblige ensuite à répondre au courrier de lecteurs indignés. Même cela a changé, de nos jours on peut s'indigner bien plus vite et gratuitement, tout en économisant un timbre. Mais c'est aussi une époque où les films esthétisants côtoient des westerns (encore de facture classique), des films d'horreur à petit budget et des films porno, tandis que de l'autre côté émergent les "jeunes réalisateurs prometteurs", comme Lucas, Spielberg ou Scott. Et Manchette vous parle aussi bien d'"Alien" que d'un affreux film gore de Lucio Fulci, de "Lolita" de Kubrick, d'"Elephant Man" de Lynch, ou des films de Hitchcock. Et de Kurosawa, très intéressant, j'ai failli oublier ! Lui, il n'oublie rien, même pas les fanzines et les publications artistiques consacrées au 7ème art.
C'est aussi une époque où on pouvait voir des reprises des films anciens (pour la plupart sous-titrés); où les petites salles organisaient des soirées thématiques et des cycles consacrés aux différents pays ou différents réalisateurs. A la fin des années 90, il en restait encore quelques unes à Paris, même si on ne lançait plus de riz pendant la projection de "Rocky Horror Picture Show", et on a soigné sa mise en allant voir "Easy Rider". Certaines de ces salles avaient à peine trente places, ce qui était pile-poil le nombre de personnes désireuses de voir les films de Théodore Dreyer. Je crois que ce ne serait plus rentable, mais j'espère me tromper.

Et pourquoi seulement 4/5 pour ce riche document écrit par la plume inimitable de Manchette ? Il y a d'abord la couverture, digne du pire film de Lucio Fulci : l'artiste numérique a transformé le visage de l'auteur de ces chroniques en surface ravagée par des strates géologiques, a rajouté de nombreux traits noirs évoquant des vers qui s'acharnent sur un cadavre, et a couronné le tout par des lèvres d'un improbable et effrayant carmin draculéen, et par la chevelure qui fait penser au pelage hirsute d'un loup-garou. Il faut dire que ça fait son petit effet, et j'étais assez soulagée de découvrir la véritable photo de Manchette sur le rabat. Puis, je suis vraiment déçue que Manchette n'éprouve aucune sensibilité envers les esthétisantes vapeurs verdâtres (parfois aussi jaunâtres ou rougeâtres) qui remplissent les films de Dario Argento. Il a utilisé de ces mots... ! Et pareil pour le "Le Choc des titans" de Desmond Davis, un film on ne peut plus formateur pour la jeunesse, car c'est la première fois de ma vie où j'ai vu à quoi ressemble un Kraken ! Mais sans rancune (et Manchette ne peut rien pour la couverture), c'est juste que le livre est très compact, et il vaut mieux doser la lecture, en dégustant une chronique par-ci, par-là.
Une bonne initiative de l'éditeur d'avoir rajouté un index de tous les films cités à la fin du livre.
(P.S. : Mille mercis à P. et à J. pour leurs efforts joints concernant l'envoi de cette divertissante et instructive lecture !:)
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