Citations sur Ogresse (20)
J’habite dans une maison qui parle. Mes parents ont toujours accusé la mauvaise isolation, mais moi je pense que la maison a grandi autour de moi autant que j’ai grandi en elle. Elle est mon prolongement en poutres, en briques et en planches. Chaque porte a sa signature : le pêne de celle de l’ancien bureau de mon père résiste et claque quand on l’actionne ; celle de l’escalier menant aux chambres crisse en frottant contre le plancher ; et quand on ouvre la porte d’entrée, tout en bas, l’appel d’air entrouvre celle de ma chambre sous les toits.
- Je pense que si elle t'avait fait saigner, tu aurait trouvé autre chose. Tu aurais dit : "OK, mais elle m'a jamais prit de chair". Et si elle t'avait arraché de la chair, un doigt par exemple, ton petit doigt, t'aurais dit : "De toute façon, j'ai pas besoin de ce soir-là, personne n'utilise vraiment son auriculaire gauche".
Le cœur est notre muscle le plus puissant, et le mien bat fort. Trop fort, parfois. Quand ça arrive, sa pulsation m'envahit le crâne et je n'arrive plus à penser à autre chose. Je n'entends même plus ce qu'on me dit. C'est comme se faire poursuivre par quelqu'un qui joue du tambour, jour et nuit, partout, toujours.
J'aimais bien l'école, avant. Seulement, je n'avais pas compris à quel point c'était un amour fragile. Il suffit de se laisser aller un tout petit peu, et quand on relève la tête, on se rend compte qu'on est tombé du bus. Et il repart. On a beau courir, on ne le rattrapera pas.
Il y a ma rue, et il y a l'école; ce n'est pas le même monde. Le bus, c'est la frontière entre les deux. Les soucis qui m'assaillent à l'école se dissolvent dès que je descends du bus, ceux de la rue partent en fumée quand j'y monte.
- Ca va aller. On est là. Et toi... t'es comme un culbuto, tu sais ?
- J'ai qu'une seule fesse ?
- Non, tu te relèves toujours.
Et le problème, si votre mère vous ment une fois, c’est que vous n’êtes plus jamais sûre, ensuite, qu’elle dit la vérité.
Peut-être qu’un jour, il y a très longtemps, mon père a compris que je ne le choisirais jamais qu’à contrecœur. Peut-être que je l’ai pensé trop fort, trop près de lui. Peut-être que c’est pour ça que ça a été si facile, pour lui, de partir.
Et il m'a embrassé. C'était bien mieux cette fois-ci parce que j'avais décidé que oui, je voulais l'embrasser.
J'avais le cœur au bord des lèvres. Pas dans le sens où je voulais vomir, mais dans le sens où je sentais mes joues et mes lèvres pulser, comme si je le tenais, mon cœur, dans ma bouche, tout fragile, et que je le transmettais à Kouz.
-Sans Lola, Aurélie ne m'aurait pas largué, il a grondé.
T'es de mon côté ou pas ?
-Pas.
Ça l'a surpris. Quand il est en colère, c'est un peu comme quand il sourit. Il ressemble à une lame parcourue d'un rai de lumière.
-Aurélie t'a quitté parce que t'as été nul. C'est pas la faute de Lola.
Il a resserré ses griffes sur mes notes, froissant la feuille. J'ai continué, à mi-voix, avec un courage que je ne me connaissais pas - après tout, si ma mère était capable de me mordre, j'étais capable de dire ses quatre vérités à Kouz.