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Critique de batlamb


C'est le deuxième ouvrage en prose que je lis de Mandelstam après « Le timbre égyptien », paru à la même période (entre 1925 et 1930, quand l'auteur abandonna temporairement la versification pour chercher à se ressaisir dans un présent hostile à la poésie). Et si « Le timbre égyptien » constituait une lecture exigeante en raison de ses métaphores foisonnantes, « Le bruit du temps » s'avère quant à lui difficile d'accès à cause de son déferlement de références culturelles, qui justifient bien les dizaines de pages de notes en fin de volume pour que les non-experts en culture russe puissent s'y retrouver.

Les fulgurances poétiques se font ici plus discrètes mais pas moins enivrantes, sous la loupe appliquée à la Russie de la fin du XIXème siècle. En effet, Mandelstam se retourne sur ses jeunes années, et examine, à la lumière de son expérience, la société russe d'antan, où couvait encore la révolution. le recul du présent aide à trouver les mots justes, et alimente la parole :

« Nous avons appris non à parler, mais à balbutier et ce n'est qu'en écoutant le bruit croissant du siècle, et une fois blanchis par l'écume de sa crête que nous avons acquis une langue. »

Cette langue est sans complaisance. Mandelstam rejette les idoles littéraires de la Russie fin-de-siècle, dont les vers affectés lui évoquent parfois « une tendre Psyché souffrant d'hémorroïdes ». Les traits caustiques abondent, et égratignent le « groin de porc de la déclamation », dont Mandelstam affuble le théâtre russe, ou encore la poésie symboliste et sa figure de proue Alexander Blok. Toutefois, l'auteur réhabilite aussi certaines voix oubliées, comme celle de son ancien professeur de littérature à l'institut Tenichev, un certain Vladimir Vassiliévitch Hépius. Ce dernier aborde sa discipline avec une passion mordante, sincère, une « hargne littéraire » quasi-animale, qui ne craint pas de mêler la haine et l'amour comme deux face d'une même passion, dont son élève a de toute évidence hérité.

En somme, Mandelstam assume le fait d'être un enfant du XIXème siècle et de tous ses travers : « personne n'est coupable, et il n'y a pas à avoir honte ». Il se retourne ainsi vers les « sources de l'être », que la révolution craint par nature, son objectif étant de supplanter, voire d'effacer le passé qui l'a engendrée. Par ce regard en arrière, Mandelstam accomplirait donc presque un acte littéraire contre-révolutionnaire... qui en amènera d'autres, notamment la fatale « Épigramme contre Staline », au style reflétant bien les valeurs défendues dans cet ouvrage. Ce retour aux sources l'aura aidé à retrouver cette voix poétique, héritée du passée et projetée vers l'avenir, dans un bruit singulier.
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