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Critique de christinebrignon


The Story of a New Zeland River, John Lane Company, NY, 1920 a été traduit en français par Actes Sud en 2002. Ce roman est introuvable aujourd'hui, ou alors à des prix prohibitifs ! Ayant adoré le film « La Leçon de piano », de Jane Campion, qui a reçu le grand prix du festival de Cannes en 1993, pour la première et seule fois offert à une femme, et dont on a dit qu'il était tiré de ce livre, je voulais absolument le lire et me faire une opinion. Mais quand j'ai vu les prix, je me suis dit : « Ah non alors, je ne marche pas là-dedans, non, non, non ! » Et puis j'ai fini par craquer, faisant ainsi le jeu de la spéculation. Cependant, si vous lisez l'anglais, sa version originale est encore disponible, et même en e-book.
Je ne regrette aucunement d'en avoir payé le prix, car ce livre, en partie autobiographique, est magnifique de courage et d'intelligence humaine ! et aussi bien différent du film. Malgré d'incontestables points communs, ce n'est pas du tout la même histoire et, à l'exception de la petite fille au fort caractère, ce ne sont pas les mêmes personnages.

Alice, jeune veuve avec une petite fille, Asia, vient d'arriver à Christchurch en Nouvelle Zélande du Sud. Fort démunie, elle y rencontre Tom Roland, qui commence par l'aider à trouver des élèves pour des leçons de piano avant de lui demander de l'épouser. Au bout d'une année, ils s'aperçoivent qu'ils ne sont pas faits pour s'entendre mais ont cependant deux enfants ensemble. Et puis son nouvel époux, en quête d'aventures, de richesse et de gloire part en éclaireur pour l'île du Nord de la Nouvelle Zélande, une terre vierge pour l'homme blanc à cette époque (1920). Au moment de monter dans le bateau qui va remonter le fleuve jusqu'à la baie où les attend une maison rudimentaire, Alice, flanquée de ses trois enfants dont deux bébés, croise David Bruce, dont elle ne sait pas qu'il est le bras droit de son mari, envoyé par « le patron » pour l'accueillir avec ses enfants. Alice, empreinte d'une éducation sévère et d'une vision rigoriste de la vie, soumise aux conventions sociales et aux apparences, le juge sur sa mine, peu flatteuse à ce moment-là, et se permet de l'ignorer superbement, toute grande dame qu'elle se croit.
Pendant les vingt années qui vont suivre, elle va regretter ce premier jugement erroné, car si son mari, dévoré par son énergie et son ambition, la laisse la plupart du temps livrée à elle-même, David Bruce, en revanche, se révèle un ami d'une fidélité exemplaire et d'une grande ouverture d'esprit, médecin de surcroit, qui va l'amener peu à peu à sortir de son carcan de préjugés pour la révéler à elle-même.
Tout se passe ici dans la lenteur et les aléas du quotidien, à une époque où la femme est conditionnée pour être soumise à son mari, juste bonne à s'occuper du ménage et faire des enfants. Alice aura d'ailleurs encore deux autres enfants et fera deux fausses couches dont l'une faillira l'emporter. Malgré son sens du devoir, c'est une femme hypersensible qui n'est pas armée pour affronter les difficultés d'une vie de pionnier dans un pays au climat plein de violence. Elle a besoin d'être protégée. David Bruce sera ce protecteur attentionné qui l'aidera à trouver sa propre personnalité, entre franc parler ou tact et diplomatie, avec toujours patience et respect.
Le choix qu'ils font de ne pas céder aux exigences de la chair malgré l'amour qu'ils éprouvent l'un pour l'autre ne les rendra que plus forts pour un final où le destin les réunira enfin.

La réflexion de Jane Mander tout au long de cet ouvrage est celle d'une féministe avant l'heure. Ses personnages sont décrits sous toutes leurs facettes ainsi que les interactions complexes qu'ils ont les uns avec les autres. Les sentiments et sensations d'écorchée vive qu'éprouve Alice en permanence sont reflétés avec beaucoup de réalisme.
Le film de Jane Campion montre une femme forte et volontaire qui décide de transgresser les lois du mariage et du sexe de son époque pour trouver son épanouissement dans la sensualité de la musique et de l'amour instinctif, animal, exacerbé par l'influence du lieu sauvage et de la culture maori, alors que le roman de Jane Mander nous livre une femme très fragile émotionnellement qui se protège derrière le paravent d'une morale rigide et d'un masque glacial dont elle ne s'affranchira, par elle-même, que très lentement, grâce à son intelligence et à l'appui de personnes aimantes et plus évoluées qui vont lui servir de guides et la mener vers son accomplissement. On devine cependant dans l'évolution de son état d'esprit un désir d'outrepasser les règles établies quant à la sexualité féminine, désir que Jane Campion a su merveilleusement pousser à ses limites dans son film.
Ce livre, très moderne dans ses idées, a été fraîchement reçu en Nouvelle Zélande à sa sortie et son auteure qualifiée d'immorale. Toujours actuel dans son écriture, il mérite grandement d'être réédité.

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