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Critique de Nastasia-B


Je viens de passer un très bon moment en compagnie de ce roman policier. En effet, Henning Mankell n'oublie jamais qu'un roman policier, c'est avant tout un roman ; et un roman, qu'est-ce que c'est ? C'est le triomphe d'un personnage ou de plusieurs personnages, c'est le triomphe de l'humain, pas celui d'un événement, aussi grand et exceptionnel soit-il.

Bien évidemment la tension narrative est entretenue par le mystère, le suspense et des surprises diverses, mais plus que tout, avant tout, ce qui nous intéresse ici dans ce roman, c'est la vie et les luttes diverses de son personnage principal, Kurt Wallander.

Je dirais même que l'enquête fait presque figure de prétexte à s'intéresser à l'enquêteur. On est très loin du jeu de piste ou du jeu de cluedo un peu vain à la Agatha Christie : la résolution de l'enquête, même si elle intervient effectivement, n'est pas, d'après moi, la finalité de l'ouvrage.

Le but me semble plutôt de positionner le personnage de l'enquêteur, Kurt Wallander, face aux évolutions de la société auxquelles il doit s'adapter et répondre. Ce faisant, il doit aussi faire face, et dans le même temps, aux difficultés de sa vie personnelle (divorce, relations difficiles tant avec sa fille qu'avec son père, problèmes de poids ou d'alcoolisme, etc.).

En fait, ce que je trouve assez intéressant dans ce roman, c'est l'impression de faux rythme, cette espèce de marasme, cette sensation de patauger dans le quotidien qu'on a tous un peu parfois, les mille choses à faire en même temps et qui se contredisent ou se nuisent les unes les autres, exactement comme dans la vraie vie que nous expérimentons tous chaque jour.

En cela, l'auteur ne souhaite surtout pas faire de son héros un surhomme. Wallander est un enquêteur d'Ystad, une toute petite ville de Scanie (pointe sud de la Suède proche du Danemark). Même si c'est un bon flic, il éprouve régulièrement le besoin d'aller se rassurer en demandant l'avis de Rydberg, qui fait pour lui office de Mentor. Même s'il travaille plutôt bien, il n'échappera pas aux délais incompressibles, aux lenteurs, aux fausses joies, aux oublis, aux erreurs, aux coups de chance et aux demis succès, mais tellement dilués dans le temps qu'ils en perdent leur saveur, etc.

L'enquête ici concerne tout d'abord un double meurtre barbare commis aux dépens d'un couple de vieux paysans, apparemment sans histoire, vivant dans une zone très rurale de la région. La femme, retrouvée mourante, a juste le temps de répéter plusieurs fois le mot « étranger » avant de s'éteindre.

Il n'en faut pas davantage pour aviver les penchants racistes de la population, les stéréotypes et les préjugés en tout genre à l'encontre des populations immigrées, notamment les demandeurs d'asile parqués dans des camps de la région. C'est donc l'occasion pour l'auteur de s'interroger, au travers de Wallander et de nous interroger sur la question et sur les changements sociaux locaux ou internationaux qui expliquent cette situation.

J'ai eu l'impression de renouer avec le roman noir de la haute époque, un peu à la Dashiell Hammett, ce genre romanesque qui scrute ce qui est glauque et qui va mal dans la société pour, peut-être, mieux en exorciser les maux, du moins, tâcher de mieux en présenter les causes.

Au moment de l'écriture du livre (1991), le bloc communiste d'Europe de l'est vient de s'effondrer, ouvrant grandes les portes de l'émigration aux candidats désireux de tenter leur chance ailleurs. C'est également la pleine période de la crise économique suscitée par la Guerre du Golfe et son corollaire, à savoir un appauvrissement des plus pauvres de par le monde, notamment en Afrique.

D'où un afflux massif et inhabituel d'étrangers en Suède qui bouleverse un peu le train-train des populations. Et, comme par un fait exprès — d'ailleurs, c'est fait exprès ! —, bien que le roman ait été écrit il y a plus de trente ans, il trouve une incroyable résonance avec la situation actuelle de la Suède, qui vient précisément de renforcer ses mesures anti-immigration et de refoulement des demandeurs d'asile, qui, actualité aidant, sont désormais plus ukrainiens que baltes ou volontiers plus du sud qu'en 1991. Mais, vous l'avez compris, la question demeure, et aujourd'hui plus que jamais là-bas, et à d'autres endroits également.

C'est tout cela qu'interroge Henning Mankell, à mon sens, avec intelligence et intérêt. Toutefois, je laisse à chacun le loisir d'en juger par lui-même, d'apprécier ou de détester, car, comme toujours, ce n'est là que mon avis sans visage, c'est-à-dire, pas grand-chose
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