AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de afriqueah


Contrairement à ce que peut faire penser le titre « un homme pareil aux autres » , René Maran, longtemps après son Batouala, fait parler Jean Veneuse, Martiniquais d'origine, élevé en France, d'une éducation classique raffinée, nommé au Tchad comme administrateur, Noir comme lui.
Et ce Veneuse reprend à son compte tous les clichés racistes : « Ne blâmez pas ma réserve ! Vous ne savez pas – et ne pouvez savoir- que ma couleur m'interdit jusqu'à l'expression des sentiments les plus normaux. » Il est amoureux d'une Blanche, amour partagé, cependant il part en sachant d'un savoir sûr qu'il ne peut entrer dans la norme, qu'il ne pourra jamais être accepté par la société, que le mariage mixte est juste impensable.
Car, dit-il, « je ne suis qu'un nègre, moi. Et un nègre n'a pas le droit de s'évader de sa race. ».
Comme il est administrateur « aux colonies », il affirme être non seulement rejeté par les blancs, mais aussi par les noirs. Et, dit-il, c'est pire aux colonies.
Bien sûr, un de ses amis lui dit qu'il est « un nègre comme on voudrait qu'il y eut beaucoup de blancs », et même : « vous n'êtes pas un vrai noir, vous. Ni par la peau, ni par l'intelligence, ni par la culture. Somme toute, vous êtes des nôtres ».
Compliment vénéneux qui recouvre un racisme évident.
Et puis la conquête qu'il fait ( qu'il subit) d'une femme qui veut à tout prix qu'il ne soit pas différent, qu'il n'y ait pas de dissension entre les races, lui jette à la figure « sale nègre » quand il ne veut pas s'installer avec elle.
Il oscille, et affirme parfois que « le nègre est un homme pareil aux autres ».
Il aime cette femme restée à Paris qu'il juge inaccessible, mais ne nous faisons pas trop de souci : il s'aère avec une petite négresse comme il dit, et quand il part, il imagine qu'elle se refera avec son successeur.
Frantz Fanon, dans son « Peaux noires, masques blancs », cartonne : « chez le nègre, il y a une exacerbation affective, une rage de se sentir petit, une incapacité à toute communion humaine qui le confinent dans une insularité intolérable »insularité qui le conduit à vouloir être blanc, seule issue possible, avant de pointer l'abandon du petit Veneuse, qui donc reproduit ce qu'il connaît : la solitude, l'impossibilité d'être aimé. « C'est un névrosé qui a besoin d'être délivré de ses fantasmes infantiles. »

A l'opposé , Mohamed Mbougar Sarr , dans sa préface, note que Veneuse n'est pas Maran, et que peut être la fiction inventée par ce dernier couvrait non pas le désir d'être aimé malgré sa couleur de peau, son désir d'être blanc, d'être pareil, comme tout le monde, blanc mais par la volonté de se faire reconnaître comme écrivain, d'être légitimé par l'écriture.
Il me semble ( et j'accepte toute autre analyse, bien entendu) que René Maran a poussé si loin l'impossibilité pour un noir d'aimer une blanche, lorsque l'on sait qu'il a vécu toute sa vie un amour mixte partagé ( comme Fanon, d'ailleurs) , que Sarr nous donne une autre vision beaucoup plus intéressante que celle de Fanon.
Oui, René Maran a voulu pousser à l'extrême les dissensions réelles entre blancs et noirs en faisant parler Veneuse, mais il a surtout, aussi, écrit des pages magnifiques par leur lyrisme.

Lorsque, il y a cent ans, son livre Batouala est consacré par le Goncourt, il souffre que son prix soit catalogué celui du« premier Noir à recevoir le prix Goncourt ». Comme si la couleur de peau comptait plus que l'écriture. Je pense aux aquarelles dont on a dit ( passé révolu, il y a beaucoup d'hommes aquarellistes)
qu'elles étaient « si féminines ».

La peinture n'a rien à voir avec le sexe.
L'écriture n'a rien à voir avec la couleur.
Et dans « un homme pareil aux autres », nous avons la thèse de l'étrangeté, de la différence sans aborder encore l'antithèse de la réciprocité, et non plus la conclusion synthétique de l'amour possible…. Sauf si, il faut lire le livre jusqu'à la fin pour comprendre.
Et surtout, une écriture pas pareille aux autres.
Commenter  J’apprécie          4717



Ont apprécié cette critique (43)voir plus




{* *}