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Critique de motspourmots


"Cette nuit, plus que les corps disparus, ce sont les âmes de ceux qui ont hissé à tout jamais l'Acropole sur la cime du monde qui me tourmentent".

Pour sa contribution à cette collection décidément très inspirée, Andrea Marcolongo, helléniste et autrice de plusieurs essais a choisi de passer une nuit dans le musée de l'Acropole, au pied de la colline d'où le temple majestueux dédié à Athéna surplombe la ville. Dans ses bagages, la biographie de lord Elgin, grand ordonnateur du dépouillement du Parthénon dont les frises arrachées sont depuis éparpillées dans différents musées du monde, voire englouties au fond des mers par les nombreux naufrages de l'époque. Autour d'elle, beaucoup de vide, la résonance de l'absence des oeuvres que les musées refusent toujours de restituer. C'est de ces ombres que se nourrit la réflexion de l'autrice, tourmentée par le remord - elle qui a bâti sa vie et sa réputation professionnelle sur la culture grecque - et désireuse de comprendre ce lien si fort qui l'attache à l'héritage grec. Cela passe par un retour sur l'histoire et la succession de micro-événements qui ont conduit au découpage sauvage d'une oeuvre exceptionnelle, mais pas seulement.

Et c'est tout l'intérêt de ce récit qui explore à sa manière la question de l'identité et l'importance de la culture dans le sentiment d'appartenance. "A croire qu'ils veulent déplacer la lune de son orbite" c'est ce que se seraient exclamés les grecs face aux agissements des anglais, tant l'incompréhension était grande face à la mutilation non pas d'une simple oeuvre d'art mais d'une partie d'eux-mêmes. D'autres peuples, d'autres cultures ont subi de semblables viols. Si celui-ci nous interpelle, nous européens c'est pour tout ce que notre culture doit à la Grèce antique d'où nous avons tout importé. le récit d'Andrea Marcolongo rejoint ainsi celui d'Irène Vallejo, L'infini dans un roseau sans s'y attarder mais en soulignant l'évidence de ce lien que beaucoup méprisent, éternel complexe de supériorité des pays du nord envers ceux du sud. Au milieu de ce musée rempli d'ombres et de fantômes, l'introspection de l'autrice la pousse à explorer des sentiments plus personnels qui ont aussi trait à l'identité, à la langue, elle qui a quitté volontairement l'Italie pour la France, s'exprime en français mais ne peut écrire qu'en italien et qui a fait du grec une patrie alternative. L'émotion affleure et se joint à celle de découvrir que c'est un poète anglais, Lord Byron qui, honteux de ce que sa patrie avait infligé à la Grèce offrit sa voix et ses vers au Parthénon et contribua à retourner l'opinion publique. Toujours est-il que les marbres sont encore au British Museum (et ailleurs).

J'ai adoré ce récit qui trouve le juste équilibre pour mêler histoire et réflexion sans se complaire dans ce qui serait un jugement facile mais en remettant les faits à leur place et en leur redonnant du sens (ou du non sens). C'est autant un éloge amoureux qu'une entreprise de réhabilitation d'un pays dont on a délibérément oublié puis nié la grandeur. Et c'est superbement écrit (et traduit).

"Si chaque homme et chaque femme qui ont eu une idée après avoir lu Platon ou Aristote, qui se sont exclamés Eurêka ! après avoir étudié Archimède ou Ératosthène, qui ont ressenti le besoin d'écrire, de peindre, de jouer de la musique après avoir assisté à une tragédie de Sophocle - ou qui se sont simplement sentis compris, moins méchants et plus humains -, reconnaissaient aujourd'hui leur dette envers l'Antiquité, la Grèce siègerait au faîte du monde, de l'Olympe même, révérée et respectée de tous les autres pays, humbles mendiants aux pieds de sa grandeur".
Lien : http://www.motspourmots.fr/2..
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