— Son père est diplomate ou dans le commerce extérieur, m’apprit ma voisine Clémentine en se penchant sur moi. Je n’ai pas bien compris ce qu’il faisait au juste.
— Quoi ? fis-je en me tournant vers ma camarade.
— Le nouveau, dit-elle en le désignant discrètement de l’index. Celui que tu mates depuis quarante minutes. Il déménage souvent. C’est ce qu’il nous a dit quand il s’est présenté à la classe tout à l’heure.
— Qu’est-ce qu’il fiche dans un établissement public ? Les mecs de son pedigree vont généralement dans le privé.
Elle haussa vaguement les épaules dans une mimique signifiant qu’elle n’en savait rien ou que cela ne l’intéressait pas.
— Tu n’auras qu’à lui poser la question, dit-elle.
— Tu ne devrais pas te laisser emmerder comme ça, me conseilla-t-il. Tu devrais riposter.
Devant l’intensité de son regard, mes jambes me firent l’effet d’être de la guimauve.
— Je ne suis pas un bagarreur, répondis-je en baissant le nez vers mes chaussures. Je ne suis pas équipé pour me battre. Je ne saurais même pas comment m’y prendre.
— Je peux te montrer si tu veux.
— C’est gentil, mais ce n’est pas dans mon tempérament.
Il pouffa de désaccord.
— Après les cours, on s’entraînera. C’est décidé.
— Je devrais plutôt demander à Clémentine. Elle fait du judo.
— Je ne te parle pas de pratiquer un sport réglementé, grogna-t-il. Je te parle d’apprendre à foutre ton poing dans la tronche d’un mec quand il vient te chercher des poux. C’est complètement différent.
— Si tu le dis.
L’idée de me retrouver seul avec Antoine était plaisante.
Antoine faisait preuve d’une retenue que j’étais incapable d’expliquer. Son comportement était paradoxal, car il me laissait très souvent entendre que je lui plaisais sans toutefois accompagner ses sous-entendus de gestes concrets, de sorte que je ne savais jamais sur quel pied danser en sa présence. Quant à moi, trop timoré, incapable de prendre une décision, je me laissais faner comme une fleur sous un soleil brûlant, maudissant mon manque de spontanéité.
— Je n’étais même pas sûr que je te plaise…
Cette fois-ci, ce fut moi qui l’embrassais.
— Tu plaisantes ? J’en bave pour toi depuis le premier jour.
— Qu’est-ce qu’on est con, conclut Antoine.
— Tu as pensé à nos parents ? Imagine que quelqu’un leur dise que...
— Mes parents savent déjà que je suis homo.
Clémentine manifesta son étonnement en ouvrant grand la bouche pour mieux la refermer ensuite. Je fis sûrement de même.
— Je leur ai annoncé l’année dernière, nous révéla Antoine.
— Et comment ont-ils réagi ?
— Mon père a d’abord cru à une plaisanterie, mais quand il a compris que j’étais sérieux, il ne m’a pas adressé la parole pendant un mois.
— Et ta mère ?
— Elle a beaucoup pleuré, et pas mal bu aussi.
Clémentine qui était assise en tailleur par terre se releva.
— Et maintenant ? demanda-t-elle.
— On fait comme si tout allait bien. Je n’en parle jamais sauf avec mon frère. Il me trouve courageux et me soutient à cent pour cent.
— Je ne sais pas comment réagirait ma famille si je leur dévoilais mes préférences, avouai-je. Je ne crois pas que ça se passerait bien.
— C’est loin d’être une partie de plaisir, admit Antoine, mais une fois que c’est fait, tu te sens libéré d’un poids immense. Tu peux enfin être toi-même.
Antoine posa la main sur mon épaule.
— On peut faire profil bas si tu préfères. Je n’ai pas envie de me cacher, mais je ne te forcerai jamais à faire quelque chose contre ta volonté.
— Si cela ne t’ennuie pas, confirmai-je.
Clémentine n’avait pas vraiment tort sur ce point. Il me plaisait de croire que la gent masculine était répartie en deux catégories : les gays affirmés et les autres, ceux dans le placard. J’aimais aussi la théorie selon laquelle l’hétérosexualité n’était qu’une machination orchestrée par l’Église pour nous obliger à nous reproduire comme des lapins. En réalité, les femmes et les hommes étaient par nature membres de la communauté LGBT.