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Critique de Presence


Il s'agit d'une histoire complète en 2 parties réalisée par Enrico Marini, scénario, dessins et couleurs. Cette première partie est parue en 2017. Enrico Marini est également l'auteur de la série Les aigles de Rome, ainsi que le dessinateur des séries le Scorpion avec Stephen Desberg, et Rapaces avec Jean Dufaux. Ce tome commence par une courte préface de Jim Lee (1 paragraphe) indiquant tout le bien qu'il pense de l'imagerie riche et évocatrice, et de la narration cinématographique et assurée de l'artiste. Il y a ensuite une préface d'Enrico Marini établissant son respect pour le personnage de Batman, et remerciant les éditeurs qui ont permis à ce projet de se faire. Ce tome comprend 60 pages de bandes dessinées.

Dans un sous-sol d'un bâtiment indéterminé, une jeune fille (Alina Shelley) se demande ce qu'il est advenu de sa mère (Mariah Shelley). Elle entend une voix l'informant que papa vient la voir. Il s'agit en fait du joker qui a détient prisonnière, et qui fait fuir les rats devant lui. Il a apporté un couteau avec lui. Au manoir des Wayne, Alfred Pennyworth apporte un paquet cadeau violet avec un ruban vert à Bruce Wayne. Il lui indique qu'il l'a scanné et qu'il ne contient pas d'explosif. Dans les rues de Gotham, le gang de Joker essaie de semer les voitures de police qui poursuivent leur fourgonnette, avec leur patron sur le siège passager. Un des clowns ouvre les portes arrière du véhicule et commence à arroser les poursuivants avec une énorme mitrailleuse. Debout sur une gargouille d'un immeuble de Gotham, Batman observe sa ville en pensant au Joker, et au fait qu'il revienne toujours.

Alors que le clown tireur a réussi à dégommer quelques voitures de police, la fourgonnette est prise en chasse par Catwoman sur sa moto. D'un coup de fouet bien ajusté, elle arrive à faire choir le mitrailleur hors du véhicule. Joker a éjecté le conducteur de son siège parce qu'il avait commencé à tirer sur un joint, et il a pris sa place. de 3 coups de pistolet, il arrive à mettre la moto de Catwoman hors d'état de rouler. Batman fend les airs depuis son perchoir et atterri sur le toit de la fourgonnette. Il échappe aux balles tirées par l'un des clowns encore à l'intérieur, ainsi qu'à celles tirées depuis 2 autres véhicules avec également des clowns à bord. Mais Joker finit par perdre le contrôle du véhicule et par en percuter un autre. Il chute dans la rivière, et ses hommes de main se font dérouiller par Batman. Il est temps pour ce dernier de répondre à l'appel de James Gordon en train de fumer une cigarette électronique sur le toit à côté du Bat-signal.

C'est un événement. En effet ce n'est pas tous les jours, ni tous les mois, ni même tous les ans qu'un artiste européen réalise une histoire de superhéros Marvel ou DC dans un format BD de type franco-belge. Ce premier tome a d'ailleurs bénéficié d'une sortie simultanée en français et en anglais, et d'un bon niveau de publicité de la part de DC Comics. En outre, Enrico Martini est un auteur réputé avec plusieurs séries à succès à son actif. Il a choisi de réaliser une couverture sobre qui joue sur les tons noir et violet pour mettre en avant la masse de Batman et son visage fermé. Dans l'introduction, l'auteur indique qu'il a toute latitude pour créer sa version du personnage, à commencer par son apparence. Il a opté pour un costume sobre, assez réaliste de type armure souple, avec les bottes aux semelles crantées, et des oreilles courtes sur sa cagoule mais une cape assez longue. le lecteur observe également des genouillères et des gants renforcés, ainsi que l'absence de slip par-dessus le collant. Bruce Wayne n'apparaît que le temps de quelques pages, avec une stature identique à celle de Batman, et des tablettes de chocolat, visibles quand Selina Kyle le caresse.

L'artiste a disposé de la même liberté pour donner son interprétation de Joker et de Catwoman. Alors que Wayne semble être dans sa trentaine, Joker semble plus jeune, moins de 30 ans. Il a les cheveux en pétard, du maquillage noir au niveau des yeux, en forme d'étoile asymétrique, et un sourire élargi par du rouge à lèvre débordant sur les joues comme Heath Ledger, mais en moins baveux. Il a conservé sa peau blanche, son costume violet et il a opté pour un gros noeud papillon avec des smileys verts. Catwoman porte un costume privilégiant la praticité, sans décolleté pigeonnant, et avec les lunettes de protection. Elle effectue des acrobaties de ballerine, impressionnante, mais peut-être déplacées.

Tout au long du récit, Enrico Marini revisite les conventions visuelles classiques du personnage en y apportant sa touche. La pauvre jeune fille est détenue dans une cave spacieuse, avec crochet de boucher suspendu à une chaîne descendant du plafond et grosses tuyauteries. Joker effectue des mimiques pour faire apparaître son état d'esprit. Dans les quelques pages où elle apparaît, Harley Quinn se comporte essentiellement comme une enfant gâtée. le manoir des Wayne est montré dans plusieurs séquences et l'artiste rend bien compte de sa taille imposante, ainsi que des pièces spacieuses et richement meublées. de ce point de vue, Enrico Marini répond à l'attente du lecteur qui souhaite le voir s'approprier les personnages de Batman pour en donner sa version. En outre l'artiste a également composé son récit de manière à pouvoir se ménager des grandes cases ou des dessins en double page. Cela commence avec Batman sur une gargouille d'un immeuble de grande hauteur, contemplant la ville à ses pieds, en double page, avec une colorisation à l'aquarelle dans les teintes sépia. La scène sur le toit de l'immeuble du commissariat baigne dans une jolie lumière vert sauge. Il y a la vision de l'intérieur de la Batcave, tout en teinte vert-bleu avec un grand volume traversé par des chauves-souris. Il y a un dessin en pleine page dans lequel Batman s'élance vers le lecteur accroché à son câble, fondant sur lui depuis les toits, et un dessin en double page, dans lequel Batman est perché au sommet d'une antenne surplombant la ville. Cette dernière image répond au premier dessin en double page, montrant cette fois-ci Batman perdu, sans savoir quelle direction prendre, dans un bel effet miroir.

La mise en couleurs donne l'impression d'avoir été réalisée à l'aquarelle, complétant à merveille les traits de contour, pour donner de la texture aux surfaces, souligner les reliefs, et installer une ambiance par le biais d'une teinte dominante. Enrico Marini ajoute quelques petites touches de nature différente dans ce récit essentiellement basé sur l'action. Il y a bien sûr la dimension horrifique apportée par Joker et son comportement de tueur sans conscience, prêt à exécuter froidement et sans arrière-pensée la première personne qui le contrarie pour une raison connue de lui seule. Il y a également ce collier constitué de dents enfilées, idée macabre au possible, dessinée sans trop de réalisme, donc sans effet visuel écoeurant. Il y a un zeste d'érotisme avec la tenue d'Harley Quinn, un autre avec Selina Kyle en nuisette, ou encore des prostituées court vêtues dans une rue, mais à nouveau sans réelle conviction, une image sans grande émotion, juste une image factuelle. Marini s'avère beaucoup plus convaincant en tant que directeur d'acteurs, avec des postures naturelles et expressives, et un langage corporel réaliste.

Le lecteur se laisse donc facilement embarquer dans cette version personnelle de Batman. Il note l'histoire d'enlèvement d'une jeune demoiselle qui fournit la dynamique de l'aventure. Joker est motivé par la volonté de trouver un beau cadeau pour Harley Quinn : un diamant d'une valeur cinquante millions de dollars, appelé le Chat Bleu. En tant que scénariste, Marini ajoute une intrigue secondaire relative à une potentielle paternité de Bruce Wayne, et une mère qui entend bien monétariser cette paternité. Au départ, Bruce Wayne apparaît comme la personnification du contrôle de soi et de la virilité confiante, il perd peu à peu de sa superbe alors que le temps et que les chances de retrouver Alina Shelley vivante diminuent. Il semble incarner la maturité qui vient avec l'âge, dont les certitudes sont remises en cause. Face à lui, Joker semble incarner l'insouciance (criminelle) et la témérité de la jeunesse et sa capacité à prendre des risques dont il ne mesure pas les conséquences. Il apparaît plus imprévisible, violent et meurtrier pour le fun. Mais rapidement le lecteur éprouve l'impression qu'il n'y a rien derrière ces façades et cette potentielle thématique. Il se rend compte que Batman ne dégage aucune empathie, se retrouvant dans une situation classique après l'autre. de la même manière, Joker s'agite et assassine à tour de bras en fonction de son humeur du moment, sans réelle conséquence. Même Archie, un clown de petite taille, continue de travailler pour lui alors que Joker vient d'abattre sous ses yeux tous les individus qui composaient son gang, juste pour changer de personnel. La réaction première de tout individu même criminel aurait été de prendre ses jambes à son cou et de changer d'état pour mettre le plus de distance possible entre lui et ce maniaque. Harley Quinn passe pour une écervelée capricieuse, sans une once de second degré, ou de potentiel comique. Batman effectue les acrobaties qui sont attendues de lui, et se lance dans des combats physiques brutaux, mais presque mécaniquement.

Pourtant Enrico Marini ne copie pas servilement d'autres auteurs ou d'autres artistes qui l'ont précédé. Il est bien sûr possible de relever l'influence de Brian Azzarello & Lee Bermejo (Joker) ou encore de Lee Bermejo tout seul avec Batman : Noël), mais sans pouvoir qualifier ce récit de plagiat. Il y a des cases qui y font penser, mais plus comme une influence que comme un ersatz. Simplement, il n'arrive pas à insuffler assez d'émotion ou de motivation dans ses personnages pour les faire exister, pour que le lecteur se préoccupe réellement de ce qu'il leur arrive. En fait, ce récit souffre de la comparaison avec les meilleures histoires parues sous forme comics et nourries par plus d'éléments, par plus d'inspiration que celle-ci.

Le principe de vouloir mettre Batman en scène dans une bande dessinée à la française constitue un pari à double tranchant. D'un côté, c'est la quasi assurance d'en donner une version aux saveurs différentes de celles des comics ; de l'autre côté, c'est prendre le risque de trop s'éloigner de ce qui rend le personnage intéressant. Enrico Marini a réalisé un album personnel, s'impliquant pour donner sa version du Chevalier Noir, tout en respectant les conventions et les attendus d'une histoire de Batman. D'un point de vue visuel, le résultat est entraînant et dynamique. Par contre, le récit n'arrive pas à impliquer le lecteur dans cette suite de scènes où les personnages n'existent que visuellement, sans consistance psychologique, sans émotion naturelle, comme des fantoches factices. Même quand Marini essaye de donner de l'épaisseur à Joker en le lançant dans un monologue sur les vertus et les méfaits de la pizza, le lecteur n'y voit que le discours plat d'un individu s'écoutant parler, sans une once de folie.
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