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Critique de Fabinou7


L'écrivain français, Prix Nobel de Littérature, signe en 1913 un roman tout à fait singulier. Jugé impubliable et éloigné de la forme romanesque par les éditeurs de l'époque.


Le roman, car il ne peut y avoir aucun doute là-dessus, de Roger Martin du Gard a en effet de quoi surprendre. Sa forme est quasi-dialoguée, ses descriptions sommaires rappellent davantage celles d'un script que d'un roman classique. Ce qui n'est pas pour déplaire au lecteur. Au demeurant, la langue est impeccable et l'intrigue tout à fait aboutie.

“Je vois en vous Jean une tendance un peu trop prononcée à la réflexion”. On ne dévoilera rien en annonçant que le lecteur s'apprête à partager la vie de Jean Barois. Personnage central d'un roman où les autres personnages sont la religion catholique, la science et la recherche de la vérité dans leurs itinérances et leurs affrontements.

“Je crois qu'il est impossible de ne pas éprouver une espèce de vertige, à ces premiers contacts avec la Science, lorsqu'on commence à distinguer, pour la première fois, quelques-unes des grandes lois qui ordonnent la complexité universelle”

De la certitude au doute… à la certitude. Au détour de conversations avec des prêtres, journalistes, députés laïcs, de divergences profondes sur la réalité scientifique et le symbole de la religion, les opinions politiques qui traduisent ces différents élans, sur l'état du monde et ce vers quoi nous allons, Jean Barois annonce les débats qui nous animent encore aujourd'hui, dans les mêmes termes, indébrouillables. Que faire de la religion face à la science et vice versa ? Faut-il seulement les placer sur le même plan ? Et que faire de la vérité ? Vers où se dirige l'énergie collective ? Ou penche-t-elle ? Quelle tradition, quel ordre établi veut-elle renverser ? Martin du Gard surprend par l'actualité de sa réflexion, ce qui n'avait pas échappé à Albert Camus qui le surnommait “notre éternel contemporain”.

“La vie d'une génération, ce n'est qu'un effort qui en suit et en précède un autre.” Mais ne vous attendez pas à trouver autre chose qu'une remarquable intelligence de l'auteur, d'une rare tolérance, et qu'une synthèse qui doute encore d'elle-même, dans toute la bonne foi de son humilité. Comme un dialogue socratique, l'auteur ne tranchera pas entre les différents points de vue que peuvent développer ses personnages, c'est en cela que Jean Barois est un roman philosophique (bien que le personnage de Luce, de par sa sagesse, pourrait être une sorte d'avatar ou d'idéal de Martin du Gard, un peu à la manière du Brotteaux d'Anatole France dans Les Dieux ont Soif).

“Je crois qu'une doctrine puissante et jeune est par nature intolérante : une conviction qui commence par admettre la légitimité d'une conviction adverse se condamne à n'être pas agissante: elle est sans force, sans efficacité.”

N'allons pas croire pour autant que tous les personnages ne sont que des faire-valoir statiques d'idées philosophiques, des sortes de caricatures. le roman de Martin du Gard est en mouvement et les évènements de la vie privée influent sur la raison, la foi d'une proche peut faire vaciller les convictions les plus anticléricales.

“On obtient toujours ce qu'on veut d'un peuple, quand on sait l'exciter contre les Juifs…” du fait des évènements marquants de la vie politique au tournant du XXe siècle relatés dans le livre, notamment une immersion singulière et vivace au coeur de l'Affaire Dreyfus, Jean Barois peut aussi prétendre au qualificatif de roman historique. La citation ci-dessus, d'un journaliste et scientifique juif, Woldsmuth, ami de Jean Barois dénote là encore une perspicacité terrible de l'écrivain, quand on sait qu'un régime antisémite enterrera la Troisième République moins de trente ans après la publication du livre.

Paru quelques années seulement après la Loi de 1905, cet ouvrage fortement influencé par les conflits du religieux et du laïc pour régir la société est résolument d'actualité. Martin du Gard n'a plus la cote, et pourtant, quel bien cela fait de se plonger dans une oeuvre aussi exigeante que sincère.

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