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Citations sur Mes nuits apaches (5)

Quand mon frère a eu son BAC, ça a été un drame pour ma mère et moi. On pressentait que la vie ne serait plus la même. La joie de Fred était un couvercle posé sur nos blessures. En désertant la maison, il allait emporter le couvercle avec lui. Les plaies de ma mère et les miennes s’ouvriraient de nouveau.
On a pris la route tous les trois pour l’installer à Bordeaux où il devait rentrer à l’école normale. La 504 émettait des cliquetis inquiétants. Le pot d’échappement percé vrombissait comme celui d’une Porsche. Avec plus de 150 000 kilomètres au compteur, elle était au bout du rouleau. Ma mère était muette. Elle conduisait, les yeux rivés à l’asphalte devant nous. Elle était tendue, son corps menu collé au volant. Elle avait toujours conduit comme si une planche de fakir était posée sur le dossier de son siège. 
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Le rock n’est pas arrivé tout de suite dans ma vie. Je ne vais pas vous raconter qu’en primaire j’écoutais les Clash et les Rolling Stones. Non, à cet âge, j’étais plutôt branché Julio Iglesias et Gérard Lenorman. Ca me fait toujours marrer, ces musiciens qui racontent que leur premier disque acheté à huit ans, c’était un Sex Pistols ou un Velvet Underground. Je suis sûr qu’ils racontent des salades pour se rendre intéressants. Pour s’acheter une crédibilité à peu de frais, montrer à quel point ils sont « rock », ils sont authentiques !
J’écoutais tout sans a priori, les vieux disques de variété un peu mièvres de ma mère comme les trucs bizarres qui provenaient de la chambre de Fred. Dans tous les romans, on trouve des super-héros. S’il y en a un dans cette histoire, c’est mon frère. Parce que dans cet océan de tristesse, Fred a été le seul à nous tenir la tête hors de l’eau. Il avait sept ans de plus que moi, un Vespa et des tas de copains. Guy et Steph, les plus fidèles, étaient toujours à la maison à squatter le vieux canapé de ma grand-mère, à rire et à se disputer. Ma mère les aimait bien. Ils restaient souvent dîner. Leur présence était un répit dans notre immense isolement. Elle confisquait notre solitude.
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Avec ma mère et Fred, on s’est retrouvés seuls. Notre appartement était devenu immense. Tout cet espace m’oppressait. J’avais l’impression d’habiter une maison hantée. Chaque fois que je pénétrais dans une pièce, je m’attendais à tomber sur mon père ou ma grand-mère. Mais les pièces étaient vides.
C’était l’époque où mon frère écoutait dix fois par jour le fameux « Ghost Town » des Specials, un morceau incroyable, contradictoire, joyeux et horrifique. Quand je sentais la présence de mon père ou de ma grand-mère, j’entendais la chanson ramper sous la porte de la chambre de mon frère et mes angoisses disparaissaient pour un moment. Pour un moment seulement.
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Tout allait bien pour moi, au début. Je me sentais pas tellement différent des autres. Oui, tout allait bien. Et puis mon père a décidé de tout gâcher. Aujourd’hui, j’ai compris que rien n’était de sa faute, qu’il n’avait rien décidé. Mais je lui en ai beaucoup voulu d’avoir foutu ma vie en l’air.
J’ai longtemps enfoui au fond de moi les souvenirs qui le concernaient. Quand ils se pointaient, je sentais deux mains puissantes tordre mon estomac comme on essore une serpillière. Ça me coupait la respiration. Et je mettais de longues minutes à retrouver mon souffle. Alors j’ai appris à les repousser, à les fouler au sol avant de les recouvrir de terre jusqu’à ce qu’ils disparaissent. Aujourd’hui, je les laisse venir plus volontiers. J’ai renoncé à renoncer.
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INCIPIT
De petites choses
Tout allait bien pour moi, au début. Je me sentais pas tellement différent des autres. Et puis mon père a décidé de tout gâcher. Aujourd’hui, j’ai compris que rien n’était de sa faute, qu’il n’avait rien décidé. Mais je lui en ai beaucoup voulu d’avoir foutu ma vie en l’air.
J’ai longtemps enfoui au fond de moi les souvenirs qui le concernaient. Quand ils se pointaient, je sentais deux mains puissantes tordre mon estomac comme on essore une serpillière. Ça me coupait la respiration. Et je mettais de longues minutes à retrouver mon souffle. Alors j’ai appris à les repousser, à les fouler au sol avant de les recouvrir de terre jusqu’à ce qu’ils disparaissent. Aujourd’hui, je les laisse venir plus volontiers. J’ai renoncé à renoncer.
À propos de mon père, ce que je garde de lui, ce sont des petites choses. Des choses de rien. Ses cheveux gris, ses sous-pulls, le parfum de sa transpiration, ses emportements devant les infos, sa main sur ma tête, son rire et la façon dont il provoquait celui de ma mère. J’étais si jeune que tout s’embrouille parfois… les photos, les anecdotes racontées par mon frère et les vrais souvenirs. Ceux qui m’appartiennent vraiment.
Dans les vrais souvenirs, il y avait sa nuque. Ou plutôt, la tension qui habitait cette nuque alors qu’il nous conduisait vers l’Espagne. Le soleil de plomb qui cognait la carrosserie de la vieille 504 Peugeot. Le radiocassette qui tournait, la musique des Machucambos qui emplissait l’habitacle et nous donnait l’impression d’avoir déjà passé la frontière. Ses doigts qui martelaient le volant en rythme. Ses doigts qui se souvenaient d’avoir tenu la cadence dans des groupes de reprises, à la fin des années cinquante, dans les dancings d’Oran.
Je devais avoir huit ou neuf ans. J’étais coincé entre ma grand-mère et mon frère aîné. J’ignorais où se situait la frontière. Mais je la devinais. Je la flairais. Il suffisait d’observer la nuque de mon père, son relâchement soudain, les plis nouveaux qui striaient sa peau, l’affaissement de ses épaules.
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