La réalité de savait qu'y faire et avançait librement à la recherche d'auteurs prêts à la raconter.
Une semaine plus tard, dans un cycle du Malba, j'ai découvert un court métrage de 1961 intitulé Faena ("Abattage"), dans lequel les vaches étaient assommées à coups de marteau et ensuite dépecées vivantes à l'abattoir. J'ai alors compris le vrai sens du mot barbarie, et pendant une semaine entière je n'ai pas pu penser à autre chose. À New York, une expérience comme celle-là aurait fait de moi un végétarien. À Buenos Aires c'était impossible, car en dehors de la viande il n'y avait rien à manger.
« Dans le tango, la beauté de la voix compte autant que la manière de chanter, l’espace entre les syllabes, l’intention qui enveloppe chaque phrase. Tu as sûrement remarqué qu’un chanteur de tango est avant tout un acteur. Pas n’importe quel acteur, mais quelqu’un chez qui l’auditeur reconnaît ses propres sentiments. L’herbe qui croît sur ce champ de musique et de mots est l’herbe sauvage, agreste, invincible de Buenos Aires, le parfum de la luzerne et du chiendent. » (p. 213)
« Il n’existe pas de cartes fiables de Buenos Aires, car les rues changent de nom d’une semaine à l’autre. Ce qu’une carte affirme, une autre le nie. » (p. 126)
« Martel essayait de récupérer le passé tel qu’il avait été, sans la transformation de la mémoire. » (p. 129)
« Il n’a pas enregistré un seul couplet. Il ne veut pas d’intermédiaire entre sa voix et le public. » (p. 18)
« Je lui ai parlé des évènements malencontreux que j’avais vécus, des cinq présidents en dix jours, et j’ai dit en passant que le chanteur de tango sur lequel je voulais écrire était mort la nuit même où je l’avais rencontré pour la première fois. » (p. 306)
En dehors de Jean Manco et Richard Foley, tous les personnages de ce roman sont imaginaires, même ceux qui paraissent réels.
« Nous consacrons notre vie à des causes que nous ne comprenons qu’en partie seulement pour que rien ne reste tel qu’il est, dit le Mocho à Martel la nuit du Sunderland. » (p. 242)
Elles [les boutiques] vendaient des biscuits de variétés insolites, depuis les étoiles de gingembre et les cubes remplis de miel d'asphodèle jusqu'aux boules de jasmin, mais la décadence argentine les avait dégradées.