La Californie

Certains aiment les nuits blanches, pas moi. Des fois, j’aurais préféré me tuer et ne plus avoir devant les yeux ces briques qui nous cernaient, comme j’aurais bien aimé retrouver Annie dans la cuisine à mon réveil. Je lui aurais préparé du café ou un mojito, et des tartines à la confiture d’orange, j’en avais acheté exprès pour elle. J’avais envie de sentir la pression de ses yeux sur moi, celle qui me poussait à me comporter correctement pour ne pas la décevoir, à me lever tôt même si j’avais les yeux qui collaient pour rester avec elle et écouter ses histoires bizarres devant un bol de chocolat au lait froid. Mais le silence de l’appartement me rappelait chaque jour le poids de son absence.

J’ai toujours eu peur de ça, de l’arrivée du malheur et de la souffrance sans que rien ne m’y prépare. Vous discutez avec le chauffeur et quand il regarde à nouveau la route, la voiture s’encastre dans un mur et votre tête s’enfonce dans la boîte à gants. Que se passe-t-il entre le moment où vous comprenez que c’est inéluctable et le choc qui met fin à cette idée, comme aux autres d’ailleurs ?

Contrairement à l’autre fois, je n’avais pas envie de l’embrasser mais ça me gênait qu’elle se donne autant de mal, alors je l’ai fait. Ma main s’est posée sur son sein droit que j’ai pétri mollement, pauvre petit nichon tout fatigué dont j’ai pinçoté le téton. Elle s’est raidie, parcourue par un court-jus.   À la fin du film, Pénélope avait les lèvres rougies par le frottement de nos bouches. On aurait dit que je l’avais maquillée dans le noir pour lui faire une mauvaise blague.

Je comprenais une chose qui s’est vérifiée depuis : les filles savent avant nous, mais elles acceptent de jouer le jeu. Elles ont l’élégance de ne rien dire et d’endurer sans en faire des tonnes, quand nous, à tout âge, on se roule par terre.

Le stress suintait, j’avais la voix pâteuse, je parlais lentement comme un type bourré qui articulerait trop pour faire croire que tout va bien. J’aurais pu m’en tirer en lui balançant la vérité : je la trouvais horrible avec son air contrit et ses yeux tristes. J’aurais pu lui avouer en postillonnant : on n’est jamais attiré par les gens qui font pitié.

Ils m’ont toujours impressionné ceux qui font face à la mort sans broncher, un peu comme les animaux qu’on mène à l’abattoir et qui baissent la tête sans plus d’émotion que ça. Faîtes ce que vous avez à faire, on n’en a rien à foutre, c’est ce qu’ils semblent dire.

Juillet et août, c’est deux pansements que l’on tire et qui retiennent nos côtes pour nous empêcher de respirer. L’air ne parvient plus à sortir. On ressemble à des morts.

Peut-être avait-on trop vu cette plage le reste de l’année, l’envers du décor, peut-être était-il trop difficile de jouer le jeu et de nous faire croire que tout ce qui nous entourait avait un tant soit peu de vérité. Mais on est trop sérieux à treize ans. On n’avait pas encore compris que les artifices sont les seules choses qui valent la peine. Ils octroient une pause au milieu de la laideur ambiante.

Elle avait l’allure, le regard, et les expressions que je lui connaissais avant sa disparition, quand un matin sans crier gare elle s’est évaporée à la manière d’un peu d’alcool d’un flacon trop vite ouvert et laissé sur la commode.

Reçu dans le cadre de Masse Critique, j'ai aimé ce livre, dont la lecture est limpide et rapide.
Marcus, n'a que 13 ans, mais mène une vie d'adulte, entre une mère absente et un frère violent.
Marcus reste un adolescent qui vit ses premiers émois amoureux, des histoires entre copains...
Il rêve d'un ailleurs, d'où La Californie...