Ce qu’il venait de réaliser relevait du coup d’éclat, la seule chose gratuite et inutile qu’il nous était encore possible de faire. Je lui en voulais et en même temps je l’enviais. Le coup d’éclat, c’était finalement le seul moment, même bref, où on pouvait arrêter de fuir et d’avoir peur. Où on relevait la tête pour la beauté du geste.
J’avais treize ans et l’impression que tout était encore possible, mais combien de temps cette illusion resterait mon mantra ? Quand et de quelle manière me serait-il balancé à la figure que cette belle idée n’était que pure illusion ? Le possible, c’est le champ restreint de ce que la vie n’a pas complètement salopé avant de te faire croire que tu pouvais y mettre du tien. Joue avec les miettes elle te dit, et sois heureux qu’il en reste encore, n’oublie pas de dire merci.
Pourquoi n’arrivait-on jamais a nous sentir heureux, comme ces touristes contents d’eux mêmes qui passent leurs journées entières sur la plage? Je n’ai jamais éprouvé ce qui semble être une forme de plénitude, même vingt ans plus tard.
Combien d’entre eux s’étaient dit aussi qu’il était hors de question de rejoindre le cortège des voitures sur l’autoroute avec un aller-simple pour la démence ?
Tout est toujours un peu pourri, quel que soit le glaçage au sucre que l’on met dessus.
On n’avait pas encore compris que les artifices sont les seules choses qui valent la peine. Ils octroient une pause au milieu de la laideur ambiante.
J’étais un bateau que l’équipage avait déserté.
Je l’avais toujours trouvée attirante et moche, mais je n’avais jamais osé m’approcher d’elle, lui demander de m’emmener derrière la grille, lui donner tous les billets que j’aurais pu récolter dans ma chambre et la laisser faire en fermant les yeux.
Entretenir l’espoir et l’attente, c’est comme fixer le désert en espérant y voir pousser une ville en suspension. Je n’avais pas compris à l’époque ce qui était en train de se jouer, c’était un lent mais sûr glissement qui vrillerait les choses une bonne fois pour toutes. Un mauvais tour de clé qui donnerait à l’ensemble un air penché. On se rapproche du sommet, et l’angle paraît plus prononcé, à croire que l’édifice va finir par sombrer.
Je me tourne vers l’est, en direction de l’Italie : l’obscurité est profonde, comme si le monde, à la limite de ce que je peux voir, chutait dans le vide. Mais une lueur apparaît en suspension au-dessus de la ligne d’horizon. Un clignotement en train d’agoniser qui montrerait la direction à suivre.