La massaia

Je suis si laide ! C’est le seul moment où j’ose, sans rougir, parler de lui. Je ne m’entretiens qu’avec moi-même, mais j’ai besoin que ce peu de lune, mystérieuse, vagabonde et diaphane, se pose sur moi, qui suis si opaque. Prenez le soleil, la terre, asseyez-vous à la droite du Père éternel, mais ne me privez pas de ce mince éclair de souvenir.

Ici, nous comptons les couchers de soleil ; chez nous, c’est toujours soit l’aube, soit le crépuscule. Il faudrait traverser la nuit et faire un tour entier de cadran, mais qui a envie de faire ça ? Regardez, l’aurore et le couchant ont la même couleur ; on ne les distingue que parce que l’une s’appuie sur la gauche et l’autre sur la droite du ciel. Nous, c’est comme ça qu’on se règle.

Sitôt qu’une femme passait, ils s’accouplaient avec elle en public, sous les yeux des gamins qu’elle tenait par la main, et ces enfants, à la candeur flétrie, faisant cercle autour d’eux, les encourageaient en applaudissant ou en sifflant comme lors d’un match de football. Une fureur animale semblait s’être emparée de cette tourbe insensée, la haine et la méchanceté suintaient de partout. Alors la Massaia se mit en quête du ciel.

“Chez nous, les héros sont polis, les saints sont élégants, les prophètes ont du tact et les excréments sentent la rose.” 

Vous pensez qu’on a le droit de les parcourir en avant ou en arrière, à droite ou à gauche, sans se soucier du sens obligatoire et de la pagaille qui en résulterait ? Mais moi, hurlait-il, en agitant son poing vers elle, moi, comme automobiliste et comme piéton, je ne suis pas d’accord. Vous devez tenir votre droite et respecter le code de la route, vous comprenez ? Vous vous croyez au-dessus des lois ? Vous n’êtes qu’une…

 “Toute femme sage bâtit sa maison, mais la folle la renverse de ses mains ” » et le braconnier lui répondre : « “Quel avantage a l’homme de tout le travail auquel il se livre sous le soleil ? Une génération passe, et une autre vient : mais la terre subsiste toujours.” 

Depuis que son mari est sur le front, elle le trompe avec un de ses domestiques, et parce que je le lui ai reproché, elle m’a chassée de chez elle, devant toute la valetaille et leurs bâtards qui se moquaient de moi. Qu’elle soit bannie à son tour de la face de la terre.

Elle n’avait ni faim, ni sommeil, ni soif. Elle n’était pas non plus fatiguée, ni accablée de ces pressentiments qui nous relient au règne animal, ou des regrets inhérents à certaines femmes, ou encore de ces espoirs qui sont ce qu’il y a de plus futile dans la vie. Elle se sentait accomplie dans le corps qui lui avait été assigné, délivrée de ces ambiguïtés et de ces incertitudes qui, il y a peu encore, en estompaient les contours. De temps à autre, quand elle se hasardait à contempler son âme, elle était juste étonnée de la voir désencombrée et emplie de paix, comme par enchantement.

Elle connaît un nombre incroyable de poésies et dans toutes les langues, mais elle ne les récite jamais à personne, elle se les murmure, quand elle a besoin de travailler sa voix, afin de la rendre si possible plus aiguë. Son mari m’a fait faire plusieurs fois le tour du propriétaire, et, à chaque tour, il m’entraînait un peu plus loin, en attirant mon attention sur le moindre bruit dans la campagne et sur cette occasion de contempler d’autant mieux la nature que l’on est aux côtés de quelqu’un, et ainsi de suite.

Je ne sais pas comment on doit réagir quand on vous courtise mais, apparemment, mon ignorance en la matière n’a fait qu’accroître son attirance pour moi et la transformer en amour, du moins c’est ce qu’il m’a dit.