La rage ne pose pas de question.
Adrien pleurait. Il pleurait de peur, de solitude, d'incompréhension. Alors maman revenait et criait. Puis repartait. Il lui fallait quelques minutes pour se remettre de la voie de tonnerre. Son cœur battait, sa gorge l'étouffait. Au moins, pendant ce temps, il ne ressentait plus cette horrible impression d'être seul. Hélas, les muscles se relâchaient, les battements se calmaient. Alors le bébé ne ressentait plus son corps. Il ressentait le rien. Le silence. Le noir. Le personne n'est là. Il recommençait à crier. Même si il savait que la voie de tonnerre allait lui éclater dessus.
Les contours du cheval à bascule se dessinaient dans la pénombre, entourés de cubes en bois mâchouillés, d’une multitude de babioles en plastique trouvées dans les menus enfants McDonald et d’un Bugs Bunny géant avachi, sans doute gagné à une foire par quelqu’un disparu depuis longtemps. Des gens parlaient et riaient en bas. Adrien n’était pas seul. Mais il voulait qu’on vienne le chercher, aussi se mit-il à crier.
Après quinze minutes, il pleurait vraiment. On l’avait oublié. C’était difficile pour lui de comprendre qu’avec tout ce brouhaha, personne ne l’entendait. Il ne s’était endormi que vers quatre heures du matin. Ses parents ne s’attendaient pas à ce qu’il se réveille avant midi. Le temps passa. L’angoisse revint. Le bambin avait soif. Il mit son poing dans sa bouche et se mit à téter, les larmes coulant le long de son visage tout rond. Il pleura encore.
Adrien décida soudain de sortir de son lit-cage. Il se tint aux barreaux, balança sa petite jambe haut, très haut. Le pied s’accrocha sur la rambarde. Il tortilla son derrière, ce qui fit monter à ses narines une odeur désagréable. Petit à petit la jambe gagna du terrain et passa de l’autre côté. Il se hissa... et tomba à grand fracas sur le sol.
L’enfant se mit à hurler de peur et de douleur. Mais cette fois-ci, le bruit de la chute avait alerté les parents. La porte de la chambre s’ouvrit à la volée. Daddy était là ! Cela valait certainement la peur et la douleur, ça !
Ayant expérimenté tant et plus la confrontation, il passa aux subtils moyens de détruire l'adulte de l'intérieur. Il devint doux, repentant, avouant qu'il ne comprenait pas, qu'il n'y arrivait pas.
Adrien ne prit pas la peine de répondre. Il triomphait, ce qui lui donnait l'impression d'être vivant. Il pouvait tout supporter, cris, rejet, gifles. Tout sauf don vide intérieur. Ce qui ne manquait pas d'arriver dès qu'il était inactif. Le garçon n'avait pas acquis cette richesse intérieure qui incite à la paix. Ce trou l'empêchait de bâtir des relations sociales : il n'avait rien à apporter. Adrien ne connaissait que le brutalité psychique.
L'enfant incapable de faire jouer son imagination, inapte à jouer seul, dans l'impossibilité d'entrer en réelle communication avec ses parents, ne trouvait que du vide.
Connor faisait tout pour que l'enfant trouve du bonheur quelque part. Mais il n'y arrivait pas.
Les parents gâtaient leur fils en proportion de leur mal-être. Ils rejetaient les problèmes de violence sur l'incompétence de l'école. La situation se nouait de tous côtés.
Elle le sortait de la classe s'il commençait à crier ou monter sur les tables, le mettant dans la position qu'il détestait le plus : subir l'indifférence.
Ce genre de scène se répéta. Agression, punition, consolation larmoyante. C'était la cerise sur un gâteau déjà toxique.
Les O'Brien parlaient de leur famille comme d'un havre de sécurité et d'ouverture d'esprit. Cependant ils étaient tristes et amers, Adrien le sentait bien, même s'il ne pouvait mettre des mots dessus. Mommy l'aimait bien mais elle l'avait abandonné. Daddy adorait son fils, mais Adrien lui gâchait la vie. L'enfant se développait dans un monde de mensonges. Les attitudes contredisaient les dires. Les paroles dissimulaient la vérité. Tout n'était que paradoxe et confusion.