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Critique de Presence


Ce tome est le premier d'une série indépendante de toute autre. Il n'est pas nécessaire de disposer de connaissances préalables sur le personnage de James Bond, pour pouvoir l'apprécier. Il contient les épisodes 1 à 6, initialement parus en 2015/2016, écrits par Warren Ellis, dessinés et encrés par Jason Masters, avec une mise en couleurs de Guy Majors. La couverture du recueil a été réalisée par Masters, les couvertures des épisodes par Dom Reardon.

Comme dans tout bon James Bond qui se respecte, l'histoire commence par une scène muette de course-poursuite de 10 pages au terme de laquelle James Bond est révélé et l'ennemi est neutralisé. À Brixton, un trio de squatteurs teste une nouvelle drogue récréative qui semble avoir des effets secondaires sur la peau. de retour d'Helsinki, James Bond se rend dans les bureaux du MI6 à Vauxhall Cross, pour débriefer. Comme à son habitude, il flirte avec Moneypenny (la secrétaire) qui a du répondant. Puis il expose le résultat de sa mission à M. Ce dernier lui indique qu'il va devoir se charger d'une enquête jusqu'alors menée par 008, sur un trafic de drogue de synthèse en provenance de Berlin. Bond fait un petit tour à l'armurerie pour voir le quartier-maître (Quartermaster, surnommé Q) qui lui confie des balles de type G2R (projectile invasif).

Dès son arrivée à Berlin, Bond est pris en charge par Dharma Reach, une agente de la branche locale du MI6 qui commence à le chauffer dans le taxi qui les emmène. Dans l'agence, il fait connaissance du responsable Carney, et des agents Samira Dar & Godwin Soames. Ils le dirigent vers les laboratoires médicaux d'un certain Slaven Kurjak, un survivant d'un camp de concentration serbe.

Dans les années 2010, Warren Ellis initie plusieurs projets, certains sur des personnages existants, d'autres dont il est le détenteur des droits de propriété intellectuelle. le lecteur a ainsi le plaisir de découvrir une nouvelle incarnation de Moon Knight et de Karnak pour Marvel, de Supreme (Supreme: Blue Rose en VO) pour Image Comics, de Blackcross (en VO) pour le Projet SuperPouvoirs. Il plonge dans 2 séries indépendantes : Trees avec Jason Howard, et Injection avec Declan Shalvey. A priori, le lecteur ne sait pas trop ce qui a pu attirer ce scénariste dans ce personnage, d'autant qu'il doit composer avec la société qui gère cette propriété intellectuelle, c'est-à-dire un niveau de contrôle et d'ingérence supplémentaire.

Le connaisseur de James Bond est rassuré : les éléments principaux du mythe sont bien présents. Moneypenny est à son bureau, dans une version un peu différente de d'habitude, tout en préservant les courts échanges de flirt. M. est bien à son bureau, sarcastique comme il se doit sur les exploits et les méthodes très personnelles de l'agent 007. le lecteur voit passer l'indispensable Q, et même Bill Tanner. Bond tient mordicus à conserver son Walther P99. Il n'y a pas beaucoup de gadgets technologiques, juste les projectiles invasifs, et les prothèses cybernétiques développées par les laboratoires Kurjak. Il y a bien une femme fatale, mais il n'y a pas de partie de jambes en l'air. James Bond est dépeint comme un vrai professionnel, un peu sarcastique, sérieux et efficace. Warren Ellis le présente comme un homme dur pour qui la fin justifie les moyens, avec une conviction morale de devoir mettre un terme aux individus qui imposent leur volonté par la force et pour qui la vie humaine des autres n'a pas de valeur. Il n'oublie le goût du personnage pour le bourbon et lui offre la possibilité de déguster un verre de Pappy van Winkle de 20 ans d'âge.

Les lecteurs habitués de Warren Ellis savent que ses scripts sont très exigeants pour les dessinateurs. Il leur réserve plusieurs séquences muettes ou quasi muettes dans lesquelles les images portent toute la narration. Jason Masters est mis à l'épreuve dès la séquence d'ouverture. Les films de James Bond ont habitué les spectateurs à des séquences pré générique toutes en action spectaculaire, dans des endroits originaux. Pour le coup, la bande dessinée ne peut pas rivaliser sur le même plan, et Ellis préfère une simple course poursuite. Ce premier contact avec les dessins de Jason Masters montre un artiste soucieux de donner corps aux environnements. Il dessine de manière réaliste, avec une approche photographique, sans pour autant noyer l'oeil du lecteur dans un niveau de détail trop grand. le lecteur peut voir l'aménagement urbain, les façades des bâtiments, les matériaux et les outils de chantier. le dessinateur utilise des traits fins pour détourer les formes.

Le lecteur découvre donc un environnement réaliste et propre sur lui, avec des aplats de noir qui deviennent plus important lors de l'affrontement physique pour rendre compte de la brutalité des coups portés. La séquence d'ouverture commence par des plans éloignés, pour devenir de plus de plus serrés alors que Bond rattrape son ennemi. Effectivement, le scénariste a opté pour une ouverture très terre à terre et à échelle humaine. Masters raconte la séquence de manière claire et efficace, avec une bonne tension narrative, sans l'aide de mots pour attirer l'attention sur un détail, ou pour suppléer une faiblesse graphique.

Jason Masters représente des individus à la morphologie normale, sans musculature exagérée., avec des tenues vestimentaires ordinaires. Ses dessins participent à conserver une dimension réaliste au récit, sans verser dans l'aventure grand spectacle et les prouesses physiques impossibles. Il s'acquitte avec rigueur de ses recherches de référence pour montrer des quartiers ou des façades reconnaissables des différents endroits où se rend James Bond : Londres, Berlin, la Norvège. Tout du long, les décors sont détaillés, avec une forme de lissage. Par exemple dans un entrepôt, tous les cartons d'emballages ont exactement la même taille la même forme, et la même surface lisse et sans aspérité, sans même un marquage ou une étiquette. le recours à des aplats de noir plus importants lors des combats physiques se répètent pour donner de la consistance à la violence.

De temps à autre, Jason Masters utilise l'infographie pour ajouter un effet différent. Il peut s'agir de la reprise d'une image sur un écran de tablette, inséré par infographie, ou des dégâts causés par un projectile intrusif dans le corps d'un ennemi (sous la forme d'une radiographie). le lecteur peut regretter l'apparence un peu aseptisée des dessins (sauf pour les blessures par balle ou par un objet contondant). En revanche il admire la rigueur et la lisibilité de la narration graphique. Non seulement chaque séquence se lit toute seule, sans difficulté de compréhension, mais en plus chaque séquence muette (il y en a au moins une par épisode) se montre à la hauteur du scénariste, sans tomber dans le cliché visuel, sans jouer sur l'image qui épate (mais en restant dans l'objectif de raconter en montrant).

Warren Ellis propose donc une aventure sur fond d'espionnage. le lecteur retrouve bien cette forme d'espionnage propre à James Bond : un soupçon de géopolitique, un criminel avec des visées qui provoquent de nombreuses pertes en vie humaine, des séquences d'action bien conçue (par opposition à un simple enchaînement de postures sans logique de déplacement). James Bond est amené à se déplacer à plusieurs endroits du globe. Il fait travailler ses méninges autant que ses poings. À l'évidence, le scénariste a pris le parti de jouer sur un autre terrain que la version cinématographique. Il se tient à l'écart des femmes fatales, des gadgets technologiques qui en mettent plein la vue et des scènes d'action à grand spectacle. Il s'attache à imaginer une motivation solide pour le criminel et à créer des opposants originaux pour Bond.

Avec cette histoire, Warren Ellis et Jason Masters racontent un bon thriller, rapide et efficace, en conservant une dimension humaine et réalise aux séquences d'action. James Bond apparaît comme un professionnel un peu froid, à la détermination sans faille, un outil efficace pour le MI6. Les auteurs ne se livrent pas une relecture du personnage, encore moins à une déconstruction du genre. 4 étoiles pour un récit plaisant auquel il manque peut-être un peu d'ambition.
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