AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de JustAWord


Écrivain dont le talent n'est plus à démontrer, Xavier Mauméjean aime particulièrement jouer avec l'Histoire en y insufflant magie et surnaturel. Son nouveau roman, El Gordo, ne déroge pas à la règle mais prend, pour une fois, un côté plus intime puisque l'auteur y parle sans le dire de souvenirs familiaux et d'une époque qui le touche plus particulièrement, celle de la guerre d'Espagne.
Revenons donc en 1936 pour découvrir le voyage improbable et incroyable d'un jeune garçon dans un pays en guerre…

Dans le petit village de Hole, en Angleterre, un garçon de douze ans du nom de William se met en tête d'aller remettre le billet gagnant d'un tirage spécial de la Loterías y Apuestas del Estuado, le fameux « El Gordo » , au bureau 67 de la Gran Vía à Madrid. le seul minuscule problème de ce projet pour le moins ambitieux, c'est que Madrid comme le reste de l'Espagne est alors en guerre et que Nationalistes et Républicains mettent le pays à feu et sang. En y croisant un autre garçon muet qui deviendra son fidèle écuyer, William commence à croire que la chance est avec lui.
Et c'est d'ailleurs peut-être le cas tandis que deux mages s'affrontent en coulisses : l'ésotériste Julius Evola et le fameux poète Federico García Lorca, chacun essayant d'influer sur le conflit en cours.
Xavier Mauméjean ne cache jamais sa volonté de réécrire le célèbre Don Quichotte dans une Espagne en pleine guerre civile. Il ne cache pas non plus son amour de la nuance et son envie de dépeindre l'Histoire tel qu'elle est et non pas telle qu'on voudrait qu'elle soit.
El Gordo se range à côté d'Alice au Pays des Merveilles, de Zéphyr, Alabama ou encore du Magicien d'Oz. Des livres avec des enfants mais pas forcément pour enfants. Les deux héros, William et Passe-Montagne, sont ballottés d'un front à l'autre, d'un camp à l'autre, d'une ville à l'autre.
Sur le chemin, ils croisent des personnages haut-en-couleurs telle que Talia, une tueuse impitoyable et aviatrice hors-pair, Doña Pilar, une maitresse de maison et préceptrice particulièrement rigide ou encore un sniper aveugle capable de lire dans les tranches d'encyclopédie !
À cette galerie savoureuse, on ajoutera bien volontiers Evola et Lorca qui immiscent une magie subtile et insidieuse au coeur même du récit.
Sous son vernis de naïveté pourtant, El Gordo parle de choses cruelles, de drames, de morts, de peines, de pertes.
Xavier Mauméjean, même s'il tente de réenchanter le réel à coup de Mecanismo et de duende, ne peut empêcher la guerre de montrer sa face hideuse, de révéler l'homme dans ce qu'il a de plus terrible.
Trouver un coupable, un méchant n'a ici que peu de sens, c'est à peine si Evola, pour des raisons fictionnelles, peut remplir ce rôle.
La réalité, comme souvent est plus complexe et personne ne sort grandit d'un conflit, qui plus est fratricide.

Pour autant, El Gordo n'est pas une histoire pessimiste.
Elle est, au contraire, une façon de trouver de la beauté dans un monde sombre et ensanglanté. Xavier Mauméjean préfère le regard de deux gamins, libre ou encagoulé, à celui forcément plus cruel des adultes.
Si l'Histoire prend une grande place dans El Gordo, l'espoir y trouve également son mot à dire. le fantastique qui irrigue le récit du début à la fin, les personnages un peu fous qui transpercent régulièrement l'épopée de leur originalité, l'amitié solide comme l'acier trempé qui unit en silence Passe-Montagne à William, tout cela donne la sensation que l'humanité, au fond, n'est pas perdue. Jamais. Que même dans les moments les plus sombres, il reste toujours quelque chose à sauver. Que l'amour de son prochain, qu'il soit rouge ou noir, trouve toujours un chemin.
Grâce à son style impeccable et remarquable, Xavier Mauméjean brasse les références littéraires et historiques pour dépeindre le souvenir douloureux d'une guerre qui semble presque aussi absurde et improbable que l'objet du voyage de nos deux héros en herbe. Bien sûr, on se débattra régulièrement pour démêler le vrai du faux tant l'auteur apparaît comme joueur avec son lecteur, mais ce qui reste sur le coeur, au fond, c'est cette saveur désuète et sincère qui transforme une histoire candide en un conte philosophique et en un exercice littéraire cathartique qui finit, ultimement, par émouvoir vraiment.

Faux-conte pour enfants et vrai roman sur l'enfance et la guerre, El Gordo incarne le meilleur de Xavier Mauméjean : une plume, une érudition et une roublardise qui font des merveilles. Parfois difficile mais toujours sincère, El Gordo rejette l'emporte-pièce et s'éprend de nuances, trouvant l'espoir dans le noir au coeur de la plus farfelue des aventures littéraires.
Lien : https://justaword.fr/el-gord..
Commenter  J’apprécie          330



Ont apprécié cette critique (30)voir plus




{* *}