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Critique de Woland


Woland
02 décembre 2017
ISBN : Inconnu

Guy de Maupassant - nul n'aura l'audace de le nier - est réputé pour ses nouvelles sombres, qui égratignent avec férocité, quand elles ne les sabrent pas carrément, la société et nombre de ses membres, et ceci à quelque niveau qu'ils se situent. Ses textes fantastiques sont tout aussi connus. Quant à ses nouvelles teintées de paillardise, outre le délicieux "Rosier de Mme Husson", on pourrait encore citer "Le Remplaçant" et cette nouvelle, dont le titre m'échappe (mais il ne le fera pas longtemps, le gaillard ! ) où l'on voit un malheureux facteur (ou garde-champêtre) confondre avec les gémissements d'une victime mourant sous les coups de son assassin des cris émis sur un tout autre (et bien plus agréable) registre.

A mes yeux, qui se trompent peut-être, notez bien , Maupassant le Macho demeure également, avec Balzac, l'un des meilleurs connaisseurs de l'âme féminine du XIXème siècle, un "féministe" authentique (qui s'ignorait sans doute) et dont on imagine l'ahurissement devant nos déliquescentes Femen actuelles (sans compter les commentaires carrément orduriers qu'il ferait sur elles). Il reste en outre - et ce n'est pas là, croyez-moi, son moindre titre de gloire littéraire - un défenseur résolu, inexorable même, du faible quel qu'il soit, être humain ou animal. Je sais que je répète cela dans presque toutes les fiches que je consacre à son oeuvre mais c'est que, voyez-vous, quand on regarde les photos du personnage, ses portraits, quand on songe à l'attitude d'homme à femmes qu'il affichait sans complexes et parfois par pure provocation, on est heureux de constater que, sous tout cela, se dissimulent une tendresse et une sensibilité qui révèlent, en cet écrivain qui séduit par son style très personnel, qui n'appartient ni au Réalisme, ni au Naturalisme, une part si importante et si émouvante d'humanité.

De temps en temps, comme tout le monde, Maupassant écrivait à la commande. A moins que, tout simplement, lassé de la sottise et de la noirceur d'un monde où tout se termine souvent plus mal que bien, il n'ait rêvé de rédiger, par-ci, par-là, une petite nouvelle un peu "conte de fées." "Le Papa de Simon" est de celles-ci bien que, là non plus, l'auteur n'ait pas réussi à en éradiquer toute méchanceté, celle-ci étant représentée par l'attitude des enfants de l'école face au petit Simon.

Le petit Simon est un enfant tranquille et solitaire, plutôt doux et malingre, mais bien gentil et intelligent, qui n'a qu'un tort, irréparable à cette époque, et ce dans n'importe quel milieu, hélas ! sauf peut-être le milieu "artiste" : il n'a pas de père. Enfin, il en a bien un, bien sûr - l'auteur ne nous donne pas beaucoup d'indices sur le personnage - mais l'individu a laissé sa mère en plan lorsqu'elle lui a avoué qu'elle attendait un bébé. Sa mère, c'est la Blanchotte - surnom choisi comme par défi par Maupassant - une jeune paysanne tombée bêtement amoureuse et qui a cru aux promesses de mariage de celui qui ne souhaitait, en fait, qu'une aventure sans lendemain.

Mais la Blanchotte a fait face. Elle a conservé l'enfant, l'a élevé avec tendresse et l'a envoyé à l'école dans l'espoir, sans doute, que cela lui apporterait quelque chose à la longue - peut-être même plus qu'une destinée de paysan. Non qu'elle ait honte de son milieu - où certains lui ont tourné le dos bien sûr mais où d'autres continuent à lui parler et l'estiment d'autant plus que, depuis sa triste aventure, elle se montre très froide avec les hommes et n'a plus donné à parler d'elle. Simplement, pour leur enfant, toutes les mères du monde, en tout cas quand elles sont normalement constituées, espèrent toujours le mieux. Et à l'époque, pour une petit paysan, passer le certificat d'études, aller, qui sait, au collège et devenir un petit employé, c'est mieux, bien mieux que de rester dans son champ - à moins, bien sûr, d'avoir des dispositions certaines pour l'agriculture.

Simon aime sa mère et il est fier d'elle. Il sait, bien sûr, qu'il n'a pas de papa mais bon ! cela a-t-il vraiment de l'importance ? Pour sa mère, peut-être un peu. Lui, parfois, il aimerait avoir un papa. Pour jouer à des jeux de garçon, par exemple. Mais mis à part ça ...

Evidemment, une fois entré à l'école, le petit se rend compte que, pour certains, la chose en a, de l'importance. On se moque de lui parce qu'"il n'a pas de papa" mais surtout, on en profite pour le frapper. Simon a beau être un petit gabarit, il se défend avec un courage qui force l'admiration - mais il reste toujours sur le carreau, hélas ! Cependant, les blessures morales sont les pires et contre celles-là, les enfants, déjà méchants et bêtes comme le sont leurs parents dont ils répètent les dires, savent bien qu'il n'y a pas de remède. D'ailleurs, un jour, poussé à bout par la haine qui l'entoure à l'école, le petit Simon s'enfuit dans le bois dans l'intention de se noyer. Il n'en peut plus, le pauvre, il étouffe. Après tout, s'il se noyait, ça ne vaudrait-il pas mieux pour tout le monde, même pour sa mère ?

Et puis, Simon se rappelle brusquement qu'un mendiant, qui n'avait plus rien dans le village, avait choisi d'en finir comme ça, avec la vie. Et que, du coup, même certains qui se moquaient de lui avaient dit : "Il est heureux, maintenant" - et avec un certain respect en plus. Quand on est mort, on est donc heureux et tout le monde se met à vous aimer ? Alors, il n'y a pas à hésiter. Et Simon passerait bien à l'acte mais le temps est assez beau, les reinettes coassent ... et l'instinct de conservation est là, derrière son épaule, à le surveiller de très près. Qu'il regarde les beautés de la forêt, qu'il voie que tout n'est pas laid , méchant et sot : que diable ! il a sa vie à faire et il est si petit ...

L'instinct de conservation, qui est un malin - il faut dire que sa tâche est rarement facile - sait aussi que le petit Simon va tomber sur un monsieur très gentil, un forgeron du village, appelé Philippe. Que l'homme, voyant les traces de larmes sur le visage de l'enfant, va engager la conversation, lui changer un peu les idées ... et même le raccompagner chez lui. Bon, bien sûr, et l'instinct de conservation le sait aussi bien que vous et moi : arrivé à ce point, on n'aura encore qu'à moitié fait le boulot - et en restant optimiste en plus ! Mais qui n'essaie rien n'a rien ! ... Et puis, surtout, il faut persévérer ...

Avec un Maupassant derrière, et dans une nouvelle qu'il a décidé d'écrire pour une fois "en rose", malgré les pâtés bien noirs (et si horriblement laids) que font dans quelques pages les petits élèves méchants et stupides, on peut dire que la cause est gagnée d'avance. Bref, l'histoire est mignonne à souhait, on est heureux de la lire même si ce n'est pas du grand Maupassant. Et puis, tout de même, le lecteur reste impressionné par la finesse avec laquelle l'auteur dépeint non seulement les sentiments de Simon mais aussi ceux de ses condisciples. Si beaucoup de ceux-ci se conduisent en brutes, nous rappelle-t-il sans en avoir l'air, c'est que leurs parents n'ont pas toujours de bonnes paroles pour la Blanchotte et son fils. Pour certains, il le sous-entend sans s'attendrir sur ces cas désespérés, c'est aussi, tout simplement, parce qu'ils seront toujours comme ça : mauvais, sournois et toujours prêts à embêter les autres, toujours prêts à leur envier même la Peste aux autres - c'est dire !

Mais l'important, n'est-ce pas que, si elles font bien moins de bruit que les histoires qui se terminent très mal, il en existe aussi comme celle du "Papa de Simon", plus calmes, plus posées, non point timides mais qui n'ont, finalement, rien à prouver à ceux qui pensent que seuls la haine et le mépris d'autrui leur permettront de se sentir vivre ? Après tout, les gens heureux n'ont peut-être pas d'histoire ... mais ils sont heureux et c'est bien l'essentiel, non ? ;o)
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