- un garçon qui n'a pas de papa
...
Les enfants riaient, très excités ; et ces fils de champs, plus proches des bêtes, éprouvaient ce besoin cruel qui pousse les poules d'une basse-cour à achever l'une d'entre elles aussitôt qu'elle est blessée.
[...] "Un grand silence se fit. Les enfants étaient stupéfaits par cette chose extraordinaire, impossible, monstrueuse, - un garçon qui n'a pas de papa ; - ils le regardaient comme un phénomène, un être hors de la nature, et ils sentaient grandir en eux ce mépris, inexpliqué jusque là, de leur mère pour la Blanchotte". [...]
"Voyons, c'est fini, tais-toi. Il est venu sous un chou comme tous les petits enfants. Tu le sais bien.
- Mais il n'y avait pas de chou dans le wagon ?"
Alors Gontran de Vaulacelles, qui écoutait avec un air sournois, sourit et dit :
"Si, il y avait un chou. Mais il n'y a que M. Le curé qui l'a vu."
(…) et une jeune négresse1, coiffée d’un foulard, rouge, apparut, qui balayait vers la rue les bouchons et le sable de l’établissement. Conte intitulé Boitelle.
(On remarque en note de bas de page : 1. négresse : le mot n’est « pas du tout péjoratif » sous la plume de Maupassant.
Midi finissait de sonner. La porte de l'école s'ouvrit, et les gamins se précipitèrent en se bousculant pour sortir plus vite. Mais au lieu de se disperser rapidement et de rentrer dîner, comme ils le faisaient chaque jour, ils s'arrêtèrent à quelques pas, se réunirent par groupes et se mirent à chuchoter.
C'est que ce matin-là, Simon, le fils de la Blanchotte, était venu à la classe pour la première fois.
[...] ... Soudain, une lourde main s'appuya sur son épaule et une grosse voix lui demanda : "Qu'est-ce qui te fait donc tant de chagrin, mon bonhomme ?"
Simon se retourna. Un grand ouvrier qui avait une barbe et des cheveux noirs tout frisés le regardait d'un air bon. Il répondit avec des larmes plein les yeux et plein la gorge :
- "Ils m'ont battu ... parce que ...je ... je ... n'ai pas ... de papa ... pas de papa.
- Comment," dit l'homme, en souriant, "mais tout le monde en a un."
L'enfant reprit péniblement au milieu des spasmes de son chagrin : "Moi ... moi ... je n'en ai pas."
Alors l'ouvrier devint grave ; il avait reconnu le fils de la Blanchotte, et, quoique nouveau dans le pays, il savait vaguement son histoire.
- "Allons," dit-il, "console-toi, mon garçon, et viens-t'en avec toi chez ta maman. On t'en donnera ... un papa."
Ils se mirent en route, le grand tenant le petit par la main, et l'homme souriait de nouveau, car il n'était pas fâché de voir cette Blanchotte, qui était, contait-on, une des plus belles filles du pays ; et il se disait, peut-être, au fond de sa pensée, qu'une jeunesse qui avait failli pouvait bien faillir encore.
Ils arrivèrent devant une petite maison blanche, très propre.
- "C'est là," dit l'enfant, et il cria : "Maman !"
Une femme se montra, et l'ouvrier cessa brusquement de sourire, car il comprit tout de suite qu'on ne badinait plus avec cette grande fille pâle qui restait sévère sur sa porte, comme pour défendre à un homme le seuil de cette maison où elle avait été déjà trahie par un autre. Intimidé et sa casquette à la main, il balbutia :
- "Tenez, madame, je vous ramène votre petit garçon qui s'était perdu tout près de la rivière."
Mais Simon sauta au cou de sa mère et lui dit en se remettant à pleurer :
- "Non, maman, j'ai voulu me noyer, parce que les autres m'ont battu ... m'ont battu ... parce que je n'ai pas de papa." ... [...]
Lâches, comme l'est toujours la foule devant un homme exaspéré, ils se débandèrent et s'enfuirent.
- Et toi non plus, dit-il, tu n'as pas de papa.
- Si, répondit l'autre, j'en ai un.
- Où est-il ? riposta Simon.
- Il est mort, déclara l'enfant avec une fierté superbe, il est au cimetière, mon papa.
Un murmure d'approbation courut parmi les garnements, comme si ce fait d'avoir son père mort au cimetière eût grandi leur camarade pour écraser cet autre qui n'en avait point du tout.
"Le papa de Simon"
On rencontre parfois de ces femmes qu'on a envie de serrer éperdument dans ses bras, tout de suite, sans les connaître.
Resté seul, le petit enfant sans père se mit à courir vers les champs, car un souvenir lui était venu qui avait amené dans son esprit une grande résolution. Il voulait se noyer dans la rivière.
Il se rappelait en effet, que huit jour auparavant, un pauvre diable qui mendiait sa vie s'est jeté dans l'eau parce qu'il n'avait plus d'argent. Simon était là lorsqu'on le repêchait ; et le triste bonhomme qui lui semblait ordinairement lamentable, malpropre, laid, l'avait alors frappé par son air tranquille, avec ses joues pâles, sa longue barbe mouillée et ses yeux ouverts, très calme. On avait dit alentour : il est mort.