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Critique de l-ourse-bibliophile


Cette lecture a été une rencontre avec un personnage des plus troublants. Thérèse n'est pas de ses héroïnes que l'on comprend tout de go et jusqu'au bout, elle restera complexe.

Esprit en décalage avec celles et ceux qui l'entourent, elle qui lit, fume, raisonne et critique ne parvient pas à rentrer tout à fait dans le moule qui est fait pour elle. Ce milieu bourgeois est asphyxiant, et, même si elle n'a pas un mot plus haut que l'autre sur son état de femme mariée, le mariage est une prison dans laquelle elle suffoque et nous étouffons avec elle. La maternité ne lui amène pas davantage de joie et j'ai trouvé audacieux d'aborder cette absence d'amour maternel.

On comprend que rien ne tout ça ne lui convient, qu'elle n'était pas faite pour cette vie, mais elle est difficile à approcher, mise à distance par sa froideur, son détachement. La torpeur qui envahit le roman rend d'autant plus marquante une certaine passivité de sa part. La première partie sonne comme un long monologue intérieur, tentant d'expliquer le pourquoi de son geste, mais il ressort de cette introspection peu à peu qu'il n'y a pas de réponse claire. Si réponse il y a, c'est celle d'une inadéquation avec son milieu, avec sa famille, d'une indifférence envers sa vie présente.
Il a fallu arriver à la seconde partie du roman, quand Bernard lui refuse brutalement le droit à la parole, pour réellement entrer en empathie avec ce personnage. On ploie sous le poids du regard familial, du conformisme, des apparences, du conservatisme. Ce n'est pas un portrait de grande criminelle, ce n'est pas un monstre : c'est une femme désespérée qui a tenté d'échapper à son milieu, de renouer avec une possibilité de vivre.

Ce roman ouvre diverses interprétations sur différents pans de la personnalité de Thérèse et, parmi les pistes possibles pour saisir sa discordance avec le monde qui l'entoure, ses amours nous ont donné à réfléchir tant il semble se dégager de ce récit des attirances homosexuelles qui se lisent entre les lignes. Entre sa relation avec Anne lors de leur adolescence (« son adolescence contre la mienne »), les temps passés cachées dans la palombière et certaines réactions lorsqu'Anne vit un amour de jeunesse avec un voisin, mais surtout lors d'un épisode de mi-rêverie, mi-délire, écrit de façon neutre, sans que l'on puisse le lire uniquement au masculin ou au féminin. Un temps où elle rêve de quelqu'un qu'elle seule connaît, de « ce corps contre son corps, aussi léger qu'il fût », « des bouches qu'elle avait chéri de loin »… Peut-être est-ce notre regard de 2023 ou peut-être était-ce bien là ? Certaines révélations sur la vie de Mauriac rendent l'hypothèse d'un alter ego bisexuel possible.

Ce roman s'est révélé plus riche que ce à quoi je m'attendais. Bien que ce mariage soit vécu comme une oppression, je n'ai pas pu purement et simplement blâmer Bernard. Certes, les passages où Thérèse focalise sur la présence envahissante dans le lit et ses mastications bruyantes rendent la cohabitation crispante ; la mentalité est assez frustre et pauvre intellectuellement, d'où des réactions parfois un peu ridicules et quelques répliques particulièrement insensibles. Néanmoins, lui aussi m'a semblé pris au piège par son milieu et sa famille, sous le joug d'une posture virile qui ne doute pas. Il est difficile de sortir des chemins tracés si rien ne vient provoquer le déclic.

Jusqu'à cette fin, douce-amère – tonalité parfaitement adaptée au roman –, qui m'a totalement satisfaite. C'est l'écho de quelque chose qui aurait pu être, tous deux regardant l'autre, l'écoutant. Tous deux doutant un instant. Tous deux devenant un tout petit peu plus humains. Un instant, une considération éphémère…

L'histoire de l'emprisonnement d'une femme dans son quotidien, dans une société qui nie les personnalités individuelles et lisse le tout sous une vacuité émotionnelle. le portrait d'un mal-être, d'une dépression qui ne dit pas son nom. L'acte criminel devient accessoire finalement : il n'était peut-être qu'un moyen de se faire entendre, là où toute parole était vaine, inaudible pour ses proches. Un roman bien plus intense et subtil que ce à quoi je m'attendais.
Lien : https://oursebibliophile.wor..
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