Citations sur La crique du Français (L'Aventure vient de la mer) (31)
- Je ne me souviens pas de vous, dit-elle. Vous n'étiez pas ici, la dernière fois que nous sommes venus?
- Non, Milady, répondit-il.
- Il y avait alors un vieillard, - j'oublies son nom. Il était perclus de rhumatismes et pouvait à peine marcher; qu'est-il devenu?
- Il est dans sa tombe, Milady!
- Ah !
Au fond d'elle-même, Dona savait que c'était pour la dernière fois qu'elle contemplait tout ça, que jamais plus elle ne reviendrait à Navron. Pourtant, un fragment d'elle-même y demeurait pour toujours : l'écho de ses pas, courant furtivement à la crique, la caresse de sa main appuyée à un arbre, l'empreinte de son corps dans les hautes herbes. Peut-être qu'un jour aussi, au cours des années à venir, quelque voyageur solitaire, écoutant le silence comme elle-même l'avait si souvent écouté, percevrait le chuchotement des rêves que, sous le soleil ardent et le ciel bleu de cette mi-été, elle avait vécus en ce lieu.
Tout ceci n'est qu'éphémère, songeait-elle. Un fugitif instant, qui jamais ne reviendra. Car hier est déjà entré dans le passé, il n'est plus à nous, et demain, encore inconnu, nous sera peut-être hostile. Mais cette journée-ci est à nous, elle est notre bien ; le soleil nous appartient, et le vent, et la mer, et les hommes, en train de chanter, là en bas, sur le pont. Oui, cette journée demeurera toujours en moi ; sans cesse, je la chérirai car, tandis qu'elle s'écoulait, nous aurons vécu, nous aurons aimé ; et rien d'autre ne compte, dans ce monde de notre création où nous nous sommes évadés.
On fait aux Français une réputation de galanterie bien injustifiée. Nous sommes beaucoup plus timides qu'on ne le croit ici...
Je répète, une femme perd souvent la tête devant un danger imprévu. Sans doute, en ce moment, vous sentez-vous débordante de courage ; mais, si vous vous trouviez brusquement face à face avec un pirate, je parie que vous frissonneriez et vous évanouiriez, comme toutes celles de votre sexe.
Je me demande, dit-il, à quel moment le monde s'est mis à aller de travers, à quel moment les hommes ont oublié comment vivre, aimer, être heureux ?
- Comme je voudrais être un homme, William !
- Pourquoi donc, Milady ?
- Alors, moi aussi, j'aurais mon bateau, j'irais où bon me semble, je serais ma propre loi.
Il sait que ceux qui, dans notre monde, veulent mener une existence normale, sont contraints par des habitudes, des coutumes, des obligations, qui finissent par tuer toute initiative, toute spontanéité. L'homme n'est plus alors qu'un engrenage, qu'une fraction de machine. Rebelle, hors la loi, libre de toutes chaînes, le pirate, par contre, échappe aux règles humaines.
Mais il se trouve que les problèmes de la piraterie m'intéressent particulièrement, qu'ils conviennent à ma façon de penser. Croyez-moi, ce n'est pas uniquement une question de brutalité et de sang à répandre.
« la délicieuse folie de cette lointaine mi-été qui, pour la première fois, fit de la crique un refuge et un symbole d’évasion. » (p. 13)