Le pommier, celui de gauche, n'était plus dans l'ombre. La lune brillait sur les branches flétries qui ressemblaient à des bras dressés et suppliants, des bras gelés, raides et gourds de souffrance. Il n'y avait point de vent, et les autres arbres ne bougeaient pas; mais là, quelque chose frémissait, frissonnait dans les plus hautes branches, une brise venue de nulle part et qui mourait aussitôt. Tout à coup, une branche tomba du pommier sur le sol. C'était la branche basse aux petits boutons bruns qu'il n'avait point voulu toucher. Aucun bruissement, aucun signe d'agitation ne venait des autres arbres. Il continua à regarder la branche gisant dans l'herbe sous la lune. Elle était étendue en travers de l'ombre du jeune arbre, tout près de celui-ci et semblait le désigner d'un doigt accusateur.
L'arbre était chargé, accablé, d'un fardeau de fruits. Ils se pressaient, petits et brunâtres, sur chaque branche, diminuant de volume à mesure qu'ils approchaient du sommet, si bien que ceux des hautes branches, qui n'avaient pas encore atteint leur taille normale, avaient l'air de noix. Ils pesaient lourdement sur l'arbre qui en paraissait courbé, tordu, déformé, les basses branches balayant presque le sol, tandis que, dans l'herbe, tout autour de tronc, s'étalaient d'autres pommes tombées, poussées par leurs soeurs avides. La terre était jonchée de ces fruits, dont beaucoup étaient ouverts et pourrissaient sous les guêpes.
Il advient que des gens, redoutant une mort prématurée, s'étourdissent dans le travail ou la folie :ainsi font les oiseaux.
La mort devrait ressembler aux adieux qu'on fait dans une gare avant un grand départ, mais sans l'excitation du voyage.
Il continua à regarder le pommier. Cette attitude courbée de victime, cette cime penchée, ces branches lasses, ces quelques feuilles flétries que le vent et les pluies de l'hiver n'avaient point emportées, et qui frissonnaient à présent dans la brise printanière comme des cheveux décoiffés, tout reprochait silencieusement au propriétaire du jardin : "C'est ta faute, c'est parce que tu me négliges, que je suis ainsi."
La vie idéale, évidemment, était celle d'un homme en Orient ou dans les mers du Sud. Là, pas de problème, l'on prenait une épouse indigène et l'on s'assurait un service parfait et silencieux, une excellent cuisine, l'on était libéré de tout effort de conversation, mais, si l'on désirait quelque chose de plus, elle était là, jeune, ardente, la compagne des heures nocturnes. Jamais une critique, la docilité d'un animal pour son maître, et le rire léger d'une enfant. Oui, c'étaient des sages, ces types qui rompaient avec les conventions. Il leur tirait son chapeau.