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Critique de LaBiblidOnee


et c'est anéantie par les images de cette lecture que je commence ma critique, que dis-je, c'est dans l'affliction et l'effroi le plus total, surtout quand on sait que Laurent Mauvignier romance un fait réel - réel, mon dieu ! - un « fait divers » survenu à Lyon en 2009, mais parler de « fait divers » pour parler de la mort, de la mort d'un être humain c'est indigne, ça ne reflète pas l'horreur de ce que la victime a subi, ni le vide qu'elle laisse dans le coeur de ses proches, même si la vie les avait éloignés, même si la misère a pu peut-être creuser l'écart mais ça, ça ne compte plus face à la mort, et surtout pas lorsqu'un homme meurt « pour ça », pour avoir bu une cannette de bière dans un supermarché sans avoir de quoi la payer et se fait tabasser par des vigiles tout-puissants mais, finalement, si l'on ne peut pas mourir « pour ça » comme l'a laissé échappé le procureur, pensant ainsi condamner les coupables, si l'on ne peut pas mourir pour avoir, en quelque sorte, volé une cannette de bière, est-ce à dire qu'il serait plus justifié de mourir pour en avoir volé deux, ou six, ou douze ? que s'il avait été tabassé à mort pour deux pack de bière, cela n'aurait été que justice, que ces vigiles au courage exemplaire, car ils étaient 4 pour faire crever un homme qui ne s'est pas même défendu, pas même avec ses mots, que ces types, donc, s'en seraient sortis indemnes ? « le vrai scandale ce n'est pas la mort, c'est qu'il n'aurait pas fallu mourir « pour ça », une cannette, pour rien, comme si on pouvait accepter qu'ils tuent, les vigiles, si c'est utile, s'ils n'ont pas le choix, on doit pouvoir se résigner à admettre, on peut comprendre et tolérer même si ça nous choque et nous déplaît mais là, impossible, quelque chose se dresse devant nous qu'on ne peut pas supporter, ce meurtre, un meurtre, ils se sont fait plaisir, voilà, le fond de l'affaire c'est que c'était de leur jouissance à eux qu'ils étaient coupables et pas de l'injustice de sa mort, ça, ni le procureur ni les journalistes ni la police n'admettra jamais, que ces types-là se soient payés sur sa tête, et ils ont tout fait pour essayer de la comprendre, cette mort, tout fait pour lui donner un sens et la trouver un peu normale, ils ont écrit des papiers », mais personne n'était là pour lui lorsqu'il était encore en vie, personne ne l'entendait penser lorsqu'il mourait, quand sa propre vie l'abandonnait, tandis qu'il se faisait tabasser « pour ça », pour rien, alors heureusement qu'il y a Laurent Mauvignier, le seul à pouvoir faire parler les morts en une phrase de 60 pages, une seule phrase comme une seule vie par personne mais dans laquelle les voix et les actes de chacun s'intriquent, ont des répercutions dans la vie de tous, c'est ça qu'il fait Mauvignier, écouter les pensées discourir sans discontinuer, nous les restituer sans les censurer, les édulcorer, les arranger, parce que même si je ne suis plus très objective quand il s'agit de cet auteur, cette forme a du sens, une seule phrase comme un seul regard qui englobe tout, un seul tout formé de multiples actes dont les causes de certains trouvent leurs origines bien avant les faits et d'autres en seront les conséquences bien après, sans qu'il n'y ait de début ni de fin, juste la vie qui coule, qui s'écoule de l'un et se poursuit ailleurs, une seule pensée sans début ni fin, sans majuscule ni point, un hommage à la victime et à sa famille, car cette histoire est un tout, un amas inextricable d'actions, une suite de moments qui ont amené à cette situation dans une communauté où l'on peut mourir « pour ça », pour rien, une seule phrase qu'une fois lancée on ne peut plus arrêter, exactement comme le déroulement insensé de cette tragédie à l'issue inéluctable, que personne n'est venu interrompre avant la fin, mais la fin pour qui ? cette seule phrase comme une trainée de poudre, seul souvenir d'une mort qui déjà s'évapore comme toutes celles qui, chaque jour, traversent le temps mais jamais ne le marquent, alors pour ne pas que cette tragédie tombe dans « ce que j'appelle l'oubli », Mauvignier est peut-être le seul à pouvoir nous faire ressentir, pêle-mêle, autant de sensations et pensées, nous faire souffrir avec la victime mourant en silence de cette injustice criante, entrer dans sa tête « quand il y avait cette voix qui continuait et répétait, pas maintenant, pas comme ça, jusqu'à ce qu'elle se taise elle aussi et s'efface dans un chuchotement, trois fois rien, un sifflement, sa voix à lui qui continuera dans sa tête à murmurer, à répéter toujours pas maintenant, pas maintenant, pas comme ça, pas maintenant » -
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